Théâtre. Sylvain Creuzevault réveille les démons de la révolution
Dans « Angelus Novus antiFaust », le metteur en scène et ses comédiens revisitent le mythe en le confrontant à notre présent. Aussi fou qu’échevelé, leur spectacle endiablé interroge avec un bel entrain ce qui reste aujourd’hui de l’élan révolutionnaire dans un monde de plus en plus complexe où les utopies semblent avoir depuis longtemps marqué le pas
Précisons à ce propos que l’expression, un peu fourre-tout, de « fantasmagorie politique« , avec sa référence appuyée à Walter Benjamin, s’applique parfaitement à cet Angelus Novus antiFaust, version aussi foutraque que diablement excitante du mythe de Faust conçue par Sylvain Creuzevault.
Au premier abord, le spectacle ressemble à une conférence avec des intervenants attablés derrière une longue table. Assez vite il apparaît que les « conférenciers » n’appartiennent pas exactement à la même temporalité et ne se trouvent même pas au même endroit. On est, certes, dans une salle de conférence mais aussi dans un laboratoire ainsi que dans une cuisine où deux personnages entament leur petit-déjeuner. Légèrement en retrait, la tête tranchée, les épaules couvertes de sang, le premier à parler est Baal, Seigneur des mouches, une version du démon qui habite en chacun de nous dont l’origine remonte à l’Antiquité.
« Le frisson est la meilleure part de l’humanité », lit-on dans le Faust de Goethe. En touillant et en malaxant à tout va dans un vaste chaudron idées et images, Sylvain Creuzevault et ses comédiens se demandent à quoi pourrait ressembler l’élan révolutionnaire que signifie ce frisson. De là le désir évident d’intégrer au spectacle tout ce qui constitue notre présent en s’efforçant de brasser le plus large possible – entre allusions aux combats qui se déroulent en ce moment à Mossoul et harangue par un candidat aux élections présidentielles, sans oublier des manifestations qui rappellent aussi bien la Nuit debout que les récentes protestations contre la loi Travail.
Mais le démon de la révolution ne se laisse pas facilement circonscrire. D’où la joyeuse anarchie à l’œuvre dans cette fulgurante mascarade inspirée, entre autres, de la satire du moyen âge où le monde est mis cul par-dessus tête. C’est un foisonnement généralisé au point qu’il n’y a pas un mais trois Faust, dont l’un est une femme, Marguerite Martin. Dans la foulée de son précédent spectacle, Le Capital et son singe, d’après Karl Marx, Sylvain Creuzevault invente une rêverie débridée s’articulant autour de la célèbre allégorie de l’Angelus Novus, l’Ange de l’Histoire inspiré à Walter Benjamin par un tableau de Paul Klee.
L’ange, écrit Benjamin, est emporté par une tempête qui, soufflant du paradis, s’engouffre dans ses ailes. Cette image de la tempête traverse le spectacle avec d’autant plus d’impact que le vent qui entraîne tout sur son passage renvoie au fait que Faust lui-même vole dans les airs grâce à sa cape magique. Magie, alchimie, expériences troubles en laboratoire, fabrication d’un homuncule – un vers de terre devenu plus tard un ange aux immenses ailes de papillon – tout ici se décompose et se recompose dans un mouvement incessant. Le décor, notamment, constitué de panneaux empruntés au Théâtre du Radeau de François Tanguy se transforme et se reconfigure à tout bout de champ pour créer à chaque fois de nouvelles ligne de fuites qui contribuent amplement au côté secoué de l’ensemble.
Servi par des acteurs à l’énergie formidable, c’est un tourbillon sauvage d’autant plus ambitieux qu’il se permet toutes les folies avec un humour réjouissant – jusqu’à intégrer un bout d’opéra écrit par le compositeur Pierre-Yves Macé. S’il est exagéré de parler d’œuvre d’art totale, c’est quand même bien vers ça que tend cette furieuse équipée. Soit un voyage théâtral en forme de corne d’abondance, d’autant plus pleine – truffée de citations et de références – que Sylvain Creuzevault y a mis le maximum, comme s’il ne voulait laisser de côté aucune possibilité. Répondant peut-être à ce souhait exprimé par Soeren Kierkegaard dans L’Instant: « Si je pouvais formuler un souhait ce serait celui de posséder non pas la richesse ou la puissance, mais la passion de la possibilité; j’aimerais avoir cet œil qui, éternellement jeune, brûlerait éternellement du désir de voir la possibilité ».
Angelus Novus antiFaust, mise en scène Sylvain Creuzevault
avec Antoine Cegarra, Eric Charon, Pierre Devérines, Evelyne Didi, Lionel Dray, Servane Ducorps, Michèle Goddet, Arthur Igual, Frédéric Noaille, Amandine Pudlo, Alyzée Soudet
jusqu’au 4 décembre au théâtre de La Colline, Paris. Dans le cadre du festival d’Automne.
puis en tournée:
15 – 16 décembre: L’Apostrophe, Cergy-Pontoise
21 – 25 mars 2017: théâtre Dijon-Bourgogne
30 – 31 mars: Bonlieu – Scène nationale d’Annecy
5 – 7 avril: La Comédie de Valence
11 – 14 avril: la MC 2, Grenoble
20 mars – 1er avril: L’Archipel, Perpignan
26 – 28 avril: La Filature, Mulhouse
4 – 5 mai: Nouveau Théâtre d’Angers
10 – 11 mai: Le Parvis, Tarbes
en juin 2017 au Printemps des Comédiens, Montpellier
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