Paula déambule entre la France et la Suisse pour se rassurer sur des lieux où se poser lors de ses séjours en Europe suite à un déménagement sans retour de son lieu de chute familier et familial.
Je suis chez des amis qui depuis 11 ans vivent près de Genève, après avoir quitté l’Algérie où nous nous sommes rencontrés et où nous avons sympathisé. Chaque année, je passe les voir quelques jours pour partager un art de vivre très éloigné du mien. A chaque séjour, je redécouvre leurs filles, joyeuses et épanouies, et eux, sereins mais toujours aussi curieux et attentifs aux autres et au monde. La maison change peu, un meuble par ci par là, un nouveau chien ou un nouveau chat. Les murs de la salle de bain ne sont toujours pas peints mais tout le monde s’en fout. Les plaisirs sont ailleurs.
Ces séjours me sont précieux. J’apprécie une certaine routine des jours dictées par les activités répétitives liées aux nombreux animaux qui vivent là, dont trois chevaux, qui captent plus spécialement mon attention. Et surtout, je suis heureuse de retrouver des repères avec juste ce qu’il faut de nouveautés et d’imprévus stimulants.
En ce moment, je goûte particulièrement cet état. Je viens de perdre un point d’ancrage. La semaine passée, Marco et moi avons remballé les affaires que nous stockions dans la maison familiale en région parisienne, où j’avais une chambre. C’était mon point de chute depuis 20 ans que j’ai commencé à nomadiser, mais des bisbilles familiales ont rendu ce départ inévitable. Nous avons chargé dans un camion notre fatras récent avec les vieux cartons de mes précédents changements de vie, pour emporter le tout chez des amis qui possèdent une grande maison du côté d’Arras et ont la gentillesse de nous laisser l’usage d’une bonne surface. Fatiguée de tous ces cartons à porter – bien plus nombreux que ce que nous avions estimé, j’ai pensé furtivement faire un autodafé de tous ces livres auxquels s’ajoutent quelques tableaux et souvenirs divers, mais l’espoir de pouvoir un jour tous les déballer et les redécouvrir, m’en a dissuadé.
Demain, je repartirai pour la maison d’autres amis qui eux acceptent de stocker nos vêtements d’hiver et de nous héberger pour nos séjours parisiens. Puis j’irai chez ma sœur, autre lieu pérenne et précieux pour la nomade que je suis devenue.
Mais maintenant, il me faut ressortir dans la froidure qui vient de s’installer brutalement, la température ayant chuté de 10 degrés en 3 jours. A priori, les oies seront rentrées. J’en suis ravie. Ces volatiles sont de redoutables gardiens et je n’étais pas fière hier lorsque l’une d’elle me menaçait de son bec, nullement intimidée par mes claquements de mains et mes glapissements. Parfois, je regrette d’être végétarienne…
Il faut finalement se méfier des animaux même les plus anodins. Lors d’un récent séjour à Bouaké, dans le nord de la Côte d’Ivoire, nous avons logé dans un hôtel où résidaient deux biches. Le temps d’une pause, Marco décida de s’allonger sur un tapis. J’étais alors sortie. A mon retour, je trouvai une biche plantée devant le porte, absolument fascinée par la touffe de cheveux de Marco dont la tête saillait légèrement. La biche se mit à déglutir et cessa alors complètement d’être un gracile et fragile animal pour devenir une biche « tout entière à sa proie attachée » si Monsieur Racine me permet cet emprunt.
Lors de notre premier séjour à Abidjan, nous avions été fascinés avec Marco par les milliers de chauves-souris qui chaque soir s’échappaient des arbres du quartier du Plateau pour se rassembler comme un nuage sombre au-dessus de la lagune et partir pour la nuit après s’être goinfré de moustiques et autres insectes. Aujourd’hui, elles ne sont plus que maigres escadrilles. Auraient-elles été mangées pendant la crise de 2010-2011? Ou ont-elles été décimées en 2014 lorsque le virus Ebola sévissait aux frontières du pays et que la rumeur disait qu’elles en étaient porteurs, ce qui est exact selon l’Organisation Mondiale de la Santé. Un cadre du Front populaire ivoirien (Fpi), vétérinaire de profession, n’avait pas manqué de créer la panique en les qualifiant de « porteurs silencieux » sans plus donner de détails sur les modes de transmission. Pour être contaminé par le virus Ebola, il faut soit les toucher, soit les manger. Si elles vous conchient, ce n’est pas mortel, simplement déplaisant.
Lundi, je réalisais que la saison de la loterie américaine pour les visas de 2018 s’achevait. Je pestais d’avoir négligé cette opportunité d’obtenir ma Green Card dont j’aurai besoin quand nous déciderons avec Marco de nous installer à Washington. Ce matin d’élection présidentielle américaine, je ne regrette rien, non vraiment rien.
Tout Nomad’s land.
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