Théâtre. « Soubresaut », la fabuleuse lanterne magique de François Tanguy
D’une grâce aérienne et d’une étonnante plasticité, ce spectacle très enjoué ravit aussi par ses délicieux moments de cocasserie. Au fil d’un enchevêtrement de séquences savamment agencées où les perspectives se recomposent indéfiniment comme mues par une logique de rêve, le metteur en scène anime avec les comédiens du Théâtre du Radeau un formidable jeu de miroirs.
Cette courte séquence par quoi débute Soubresaut, nouvelle création très réussie du dramaturge et metteur en scène François Tanguy, signale d’emblée l’allure primesautière de ce qui va suivre. Du mot « soubresaut », le dictionnaire donne la définition suivante: « saut brusque inopiné d’un animal ou cahot de quelque chose (…) tressaillement brusque et instantané du corps, sursaut (…) ». Cela donne une idée assez proche de la façon dont ce spectacle composé de fragments finement imbriqués les uns dans les autres avance sans crier gare presque par à coups.
« J’étais comme un rêve au cœur du rêve comme une pensée lovée dans une autre« , dit quelque part le personnage d’une nouvelle de Robert Walser, un des auteurs de prédilection de François Tanguy dont il fait entendre ici Scène célèbre, texte extrait du recueil Petits essais. C’est exactement ce que l’on ressent face à cette suite de tableaux instables où, acteurs, personnages, costumes, éléments de décors, lumières semblent obéir à une logique de rêve. Des forces contraires secouent l’espace du plateau produisant des rencontres inopinées. C’est un carrefour; il y a des flux de circulation, des perspectives qui se font et se défont où sont convoqués, entre autres, Dante, Kafka, Coleridge, Giordano Bruno, Paul Valéry, Joseph Brodsky et même, plus étonnant, Eugène Labiche avec un bout de L’affaire de la rue de Lourcine.
Le corps de l’acteur a cette particularité dans les créations du Théâtre du Radeau d’exhiber une certaine raideur comme s’il s’agissait d’un objet, un accessoire parmi d’autres – faisant jeu égal ou, plus exactement, entrant en tension avec les éléments de décor. De fait, il y a toujours un côté « traité des mannequins » dans les spectacles de François Tanguy. Sauf que cette fois la dimension fétichiste du costume – gants blancs, crinolines, frous-frous, hauts-de-forme, perruques, bottines, corsets, armures et autres – y est plus que jamais mise en valeur, au point qu’on pourrait parler aussi bien de « traité des objets« . Ce que confirme l’omniprésence d’instruments de musique dont on fait semblant de jouer, sans oublier leurs étuis dont le rôle paraît tout aussi important.
Des plans inclinés sur lesquels glissent des personnages improbables ou des belles égarées de quelque bal féerique évoquent avec une pointe d’humour l’univers du conte. Il y a aussi cette séquence amusante tout droit sortie d’un film de Buster Keaton où, alors qu’elle est en train de parler, le visage de l’actrice Laurence Chable est soudain occulté par une poutre manipulée par des « déménageurs« . Peu de temps après on l’escamote hors de scène assise sur cette même poutre tandis qu’elle continue de dire son texte comme si de rien n’était.
Dense, labyrinthique, foisonnant, souvent drôle, entre défilé et cavalcade, Soubresaut invite, par la grâce d’un art du montage – et du démontage – étourdissant, à regarder autrement ce qui se passe sur une scène de théâtre. Comme s’il questionnait sa propre possibilité, le spectacle s’ingénie à montrer en un déménagement incessant ce qui fait à la fois le charme et la fragilité de ses rouages de machine à la plasticité inouïe. Face à ce miroitement infini, le spectateur grisé se laisse volontiers entraîner au fil des métamorphoses de cette chatoyante lanterne magique.
Soubresaut, mise en scène et scénographie François Tanguy
avec Didier Bardoux, Frode Bjornstad, Laurence Chable, Jean-Pierre Dupuy, Muriel Hélary, Ida Hertu, Vincent Joly, Karine Pierre
> à La Fonderie, Le Mans (72) jusqu’au 12 décembre, puis du 19 au 27
> du 14 au 17 mars 2017 au CDN de Besançon
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