« The Evening », les belles figures cabossées de Richard Maxwell
La dernière création du dramaturge et des New York City Players interroge encore une fois la fragilité humaine, face à la vie mais aussi face à la mort. Un spectacle puissant qui doit beaucoup au jeu intense des comédiens Cammisa Buerhaus, Jim Fletcher et Brian Mendes.
Il y a d’abord cette actrice, Cammisa Buerhaus. Seule en scène, elle décrit les derniers moments de son père. La simplicité du langage, la précision émouvante des détails renvoient sans le moindre doute à une expérience vécue; avec en particulier cette façon dont dans la proximité de la mort, la perception des événements même les plus infimes s’accentue. Tout prend un relief plus fort, plus contrasté, riche de résonances, tandis que la destruction fait son œuvre.
Le père diminué n’a plus toute sa tête. Il se croit en Californie alors qu’il est en réalité chez lui dans le Minnesota. Il entonne avec ses fils de vieilles rengaines, Good Night Irene, Jamaica Farewell. Puis il s’assied sur une chaise. Pour aussitôt se lever. Et c’est son dernier mouvement. « Il est parti, comme pour un sprint, sur des starting-blocks », commente la comédienne. En l’écoutant, on a compris que ce n’est pas de son paternel qu’elle parlait mais de celui de l’auteur.
Richard Maxwell était en train de travailler à sa pièce The Evening quand il a appris que celui-ci n’en avait plus pour longtemps à vivre. Alors ces derniers instants vécus dans la proximité du malade se sont en quelque sorte imposés jusqu’à être intégrés dans le texte du spectacle. Comme souvent dans les créations de ce metteur en scène et dramaturge new-yorkais, The Evening donne à voir des personnages de paumés cabossés par la vie. Du coup cette ouverture pour incongrue qu’elle paraisse de prime abord, compte tenu de la suite du spectacle, y a au contraire tout à fait sa place.
Ainsi dès la deuxième scène, on se trouve dans un bar où trône l’inévitable écran de télévision qui diffuse un match de football américain. Cammisa Buerhaus y joue Beatrice, une barmaid – à l’occasion il lui arrive de faire aussi quelques passes. Débarque Cosmo (Jim Fletcher), une boîte à pizza sous le bras, bientôt rejoint par Asi (Brian Mendes). Asi est boxer. Il a gagné son dernier combat, comme on le lui rappelle avec insistance. Mais son visage meurtri par les coups montre que, globalement, en ce qui concerne sa vie, il a perdu.
Il entretient avec Beatrice une relation amoureuse en fin de course. Quant à Cosmo, entre deux joints, il enquille cocktail sur cocktail et rêve d’un monde où règnerait éternellement l’utopie flower power des années 1970. Il y a dans ce trio d’éclopés échoués dans un bouge minable représentatif de l’Amérique profonde une situation tellement typique pour ne pas dire éculée qu’on se demanderait presque où Richard Maxwell veut en venir.
La réponse se situe sans doute dans la dimension expérimentale voire formelle de ce que tente l’auteur avec ce spectacle. Comme si l’on enfermait trois cobayes dans un bocal pour observer ensuite leurs réactions. Pour autant même s’il met largement en valeur la qualité d’interprétation exceptionnelle des comédiens, le spectacle n’est pas seulement construit sur des improvisations, même si celles-ci une fois fixées ont joué une part importante dans son élaboration.
On pourrait parler plutôt d’étude – en l’occurrence particulièrement réussie – consistant à voir jusqu’à quelle extrémité il peut pousser ses personnages. On est donc dans un laboratoire où l’auteur, un rien pervers, s’amuse, d’une part, à tirer les ficelles de ses marionnettes tout en éprouvant, d’autre part, ce qui résiste à cet aspect purement formel à savoir la fragilité humaine profondément attachante des trois acteurs.
Prisonniers d’une situation qui les dépasse, ils sont comme des bêtes en cage définitivement sonnés et donc incapables d’agir. À l’exception notable de Beatrice. Laquelle étouffe dans ce trou. D’autant plus que, comme elle l’explique, elle a récemment perdu des proches, d’où l’urgence pour la jeune femme de s’arracher à cette atmosphère croupissante et de partir le plus loin possible – à Istanbul, par exemple.
Son amoureux, bien sûr, ne veux pas qu’elle s’en aille. Ils en viennent aux mains et même aux armes. Un pistolet est brandi. Au milieu de ce pugilat, les exhortations de Cosmo à prendre la vie du bon côté et à profiter de l’instant apportent une note ironique pour ne pas dire désopilante. Tel est en effet le ressort du théâtre de Richard Maxwell, comme on a pu s’en rendre compte notamment dans Caveman, Good Samaritans, ou Drummer Wanted, ses précédents spectacles, que même au pire du marasme subsiste toujours une dimension comique et donc peut-être aussi une lueur d’espoir. La présence sur scène de musiciens contribue à souligner cet aspect tout en apportant à cette création interprétée avec autant d’humour que de sensibilité une touche légèrement décalée. Comme si, assumant le rôle du chœur, ils offraient dans la déconfiture générale la possibilité d’entrevoir d’autres perspectives.
The Evening de et par Richard Maxwell / New York City Players (en anglais surtitré)
jusqu’au 19 octobre au théâtre Nanterre-Amandiers, Nanterre (92)
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
Le père diminué n’a plus toute sa tête. Il se croit en Californie alors qu’il est en réalité chez lui dans le Minnesota. Il entonne avec ses fils de vieilles rengaines, Good Night Irene, Jamaica Farewell. Puis il s’assied sur une chaise. Pour aussitôt se lever. Et c’est son dernier mouvement. « Il est parti, comme pour un sprint, sur des starting-blocks », commente la comédienne. En l’écoutant, on a compris que ce n’est pas de son paternel qu’elle parlait mais de celui de l’auteur.
Richard Maxwell était en train de travailler à sa pièce The Evening quand il a appris que celui-ci n’en avait plus pour longtemps à vivre. Alors ces derniers instants vécus dans la proximité du malade se sont en quelque sorte imposés jusqu’à être intégrés dans le texte du spectacle. Comme souvent dans les créations de ce metteur en scène et dramaturge new-yorkais, The Evening donne à voir des personnages de paumés cabossés par la vie. Du coup cette ouverture pour incongrue qu’elle paraisse de prime abord, compte tenu de la suite du spectacle, y a au contraire tout à fait sa place.
Ainsi dès la deuxième scène, on se trouve dans un bar où trône l’inévitable écran de télévision qui diffuse un match de football américain. Cammisa Buerhaus y joue Beatrice, une barmaid – à l’occasion il lui arrive de faire aussi quelques passes. Débarque Cosmo (Jim Fletcher), une boîte à pizza sous le bras, bientôt rejoint par Asi (Brian Mendes). Asi est boxer. Il a gagné son dernier combat, comme on le lui rappelle avec insistance. Mais son visage meurtri par les coups montre que, globalement, en ce qui concerne sa vie, il a perdu.
Il entretient avec Beatrice une relation amoureuse en fin de course. Quant à Cosmo, entre deux joints, il enquille cocktail sur cocktail et rêve d’un monde où règnerait éternellement l’utopie flower power des années 1970. Il y a dans ce trio d’éclopés échoués dans un bouge minable représentatif de l’Amérique profonde une situation tellement typique pour ne pas dire éculée qu’on se demanderait presque où Richard Maxwell veut en venir.
La réponse se situe sans doute dans la dimension expérimentale voire formelle de ce que tente l’auteur avec ce spectacle. Comme si l’on enfermait trois cobayes dans un bocal pour observer ensuite leurs réactions. Pour autant même s’il met largement en valeur la qualité d’interprétation exceptionnelle des comédiens, le spectacle n’est pas seulement construit sur des improvisations, même si celles-ci une fois fixées ont joué une part importante dans son élaboration.
On pourrait parler plutôt d’étude – en l’occurrence particulièrement réussie – consistant à voir jusqu’à quelle extrémité il peut pousser ses personnages. On est donc dans un laboratoire où l’auteur, un rien pervers, s’amuse, d’une part, à tirer les ficelles de ses marionnettes tout en éprouvant, d’autre part, ce qui résiste à cet aspect purement formel à savoir la fragilité humaine profondément attachante des trois acteurs.
Prisonniers d’une situation qui les dépasse, ils sont comme des bêtes en cage définitivement sonnés et donc incapables d’agir. À l’exception notable de Beatrice. Laquelle étouffe dans ce trou. D’autant plus que, comme elle l’explique, elle a récemment perdu des proches, d’où l’urgence pour la jeune femme de s’arracher à cette atmosphère croupissante et de partir le plus loin possible – à Istanbul, par exemple.
Son amoureux, bien sûr, ne veux pas qu’elle s’en aille. Ils en viennent aux mains et même aux armes. Un pistolet est brandi. Au milieu de ce pugilat, les exhortations de Cosmo à prendre la vie du bon côté et à profiter de l’instant apportent une note ironique pour ne pas dire désopilante. Tel est en effet le ressort du théâtre de Richard Maxwell, comme on a pu s’en rendre compte notamment dans Caveman, Good Samaritans, ou Drummer Wanted, ses précédents spectacles, que même au pire du marasme subsiste toujours une dimension comique et donc peut-être aussi une lueur d’espoir. La présence sur scène de musiciens contribue à souligner cet aspect tout en apportant à cette création interprétée avec autant d’humour que de sensibilité une touche légèrement décalée. Comme si, assumant le rôle du chœur, ils offraient dans la déconfiture générale la possibilité d’entrevoir d’autres perspectives.
The Evening de et par Richard Maxwell / New York City Players (en anglais surtitré)
jusqu’au 19 octobre au théâtre Nanterre-Amandiers, Nanterre (92)
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
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