« Rêve et folie »: Claude Régy au plus près de l’écriture de Trakl

A 93 ans, le metteur en scène aborde pour la première fois le poète autrichien en immergeant le public dans l’atmosphère à la fois crépusculaire et étrangement sensuelle de son œuvre. Dans un clair obscur savamment dosé, le comédien Yann Boudaud excelle en alchimiste du verbe à transmettre la voix d’un des auteurs les plus énigmatiques du XXe siècle.
On l’oublie parfois tant c’est en soi une évidence, mais le théâtre est peut-être avant tout une expérience que vit le spectateur. Plus qu’aucun autre celui de Claude Régy génère cette sensation de se trouver immergé dans une dimension parallèle où notre relation ordinaire avec le monde n’a plus cours. Dernière création du metteur en scène, Rêve et folie, ne déroge pas à la règle qui nous entraîne au cœur même de l’écriture incomparable du poète autrichien George Trakl (1887-1914).
La question du passage de l’écrit à l’oral est depuis longtemps une préoccupation majeure de Claude Régy. Selon lui, il ne s’agit pas tant de faire entendre un texte que de pénétrer à l’intérieur de ce qui se trame dans l’écriture. Pour cela il plonge d’abord le public dans le noir total aussi bien que dans un silence complet.
Au sein de l’obscurité, on discerne progressivement la forme lumineuse d’un corps humain presque flottant tant ses pas semblent seulement effleurer le sol dans un mouvement ralenti et cependant très souple. Il y a quelque chose d’étonnant dans la façon dont ce corps rayonnant du comédien paraît ne faire qu’un avec le noir qui l’entoure. Au point qu’on ne saurait dire dans quel espace tout cela se situe. Certes, on distingue bien dans la pénombre l’arc d’une voûte, comme si l’on se trouvait dans une cave ou un tunnel, mais rien de plus.
L’acteur, en l’occurrence Yann Boudaud, étire ses bras et ses jambes en des gestes étranges tout en prononçant les premières syllabes du poème sur lesquelles il traîne de façon insistante donnant à sa diction un aspect insolite. Cette torsion inhabituelle, comme si les mots nous parvenaient au plus profond du sommeil, traduit admirablement la densité et le rythme si particulier du texte.
La question du passage de l’écrit à l’oral est depuis longtemps une préoccupation majeure de Claude Régy. Selon lui, il ne s’agit pas tant de faire entendre un texte que de pénétrer à l’intérieur de ce qui se trame dans l’écriture. Pour cela il plonge d’abord le public dans le noir total aussi bien que dans un silence complet.
Au sein de l’obscurité, on discerne progressivement la forme lumineuse d’un corps humain presque flottant tant ses pas semblent seulement effleurer le sol dans un mouvement ralenti et cependant très souple. Il y a quelque chose d’étonnant dans la façon dont ce corps rayonnant du comédien paraît ne faire qu’un avec le noir qui l’entoure. Au point qu’on ne saurait dire dans quel espace tout cela se situe. Certes, on distingue bien dans la pénombre l’arc d’une voûte, comme si l’on se trouvait dans une cave ou un tunnel, mais rien de plus.
L’acteur, en l’occurrence Yann Boudaud, étire ses bras et ses jambes en des gestes étranges tout en prononçant les premières syllabes du poème sur lesquelles il traîne de façon insistante donnant à sa diction un aspect insolite. Cette torsion inhabituelle, comme si les mots nous parvenaient au plus profond du sommeil, traduit admirablement la densité et le rythme si particulier du texte.
Météore
Poème en prose dans lequel George Trakl a concentré ses obsessions majeures, Rêve et folie offre l’apparence trompeuse d’une narration sans cesse déjouée d’où émergent à tout bout de champ des images ou des scènes frappantes, pour ne pas dire traumatiques. Une récurrence sourde travaille le texte en sous-main; des motifs enfouis dont des indices pas toujours déchiffrables affleurent à la surface et suggèrent plus qu’ils n’expliquent. Trakl s’efforce d’écrire comme s’il se situait au-delà de la mort. Dans une lettre de 1911 à un de ses proches, il insiste sur sa quête d’une écriture impersonnelle et précise: « Tu peux croire que j’ai et que j’aurai toujours du mal à me soumettre sans conditions à ce qu’il faut représenter ».
On l’a souvent comparé à Hölderlin, à Novalis ou à Rimbaud. Une chose est sûre c’est que, comme ces deux derniers, Trakl est un météore. Toxicomane depuis l’âge de 18 ans, époque où il commence ses études de pharmacie, alcoolique, hanté par la folie, par la culpabilité et par la mort, sa relation incestueuse avec sa sœur plus jeune que lui est un thème régulièrement abordé dans ses poèmes. Il meurt à 27 ans d’une overdose de cocaïne dans un hôpital militaire.
Aujourd’hui encore Trakl est une énigme. Dans son dernier livre, Du régal pour les vautours, Claude Régy écrit à son propos : « On peut dire qu’il a maintenu sa vie dans le strictement invivable. L’overdose qui, à l’hôpital, a mis fin à sa vie était-elle volontaire ou accidentelle? ». Et d’ajouter : « En vivant avec lui, on demeure dans un foisonnement de transgressions ». Le fait que Claude Régy, âgé aujourd’hui de 93 ans, ait longtemps attendu avant de porter à la scène un des textes du poète a quelque chose de surprenant. Peut-être celui qui a fait connaître au public français des auteurs aussi différents qu’Edward Bond, Harold Pinter, David Harrower ou Jon Fosse ne se sentait-il pas prêt.
On l’a souvent comparé à Hölderlin, à Novalis ou à Rimbaud. Une chose est sûre c’est que, comme ces deux derniers, Trakl est un météore. Toxicomane depuis l’âge de 18 ans, époque où il commence ses études de pharmacie, alcoolique, hanté par la folie, par la culpabilité et par la mort, sa relation incestueuse avec sa sœur plus jeune que lui est un thème régulièrement abordé dans ses poèmes. Il meurt à 27 ans d’une overdose de cocaïne dans un hôpital militaire.
Aujourd’hui encore Trakl est une énigme. Dans son dernier livre, Du régal pour les vautours, Claude Régy écrit à son propos : « On peut dire qu’il a maintenu sa vie dans le strictement invivable. L’overdose qui, à l’hôpital, a mis fin à sa vie était-elle volontaire ou accidentelle? ». Et d’ajouter : « En vivant avec lui, on demeure dans un foisonnement de transgressions ». Le fait que Claude Régy, âgé aujourd’hui de 93 ans, ait longtemps attendu avant de porter à la scène un des textes du poète a quelque chose de surprenant. Peut-être celui qui a fait connaître au public français des auteurs aussi différents qu’Edward Bond, Harold Pinter, David Harrower ou Jon Fosse ne se sentait-il pas prêt.
Hors du commun
Régy a d’ailleurs annoncé que ce spectacle serait son dernier. Espérons que ce n’est pas vrai car son art tout de précision admirablement servi par l’acteur Yann Boudaud restitue avec une intensité inouïe l’atmosphère à la fois sensuelle et crépusculaire profondément troublante de l’œuvre de Trakl. Face à une telle réussite, on est curieux de savoir où pourrait encore nous emmener le metteur en scène dans une prochaine création.
En allemand le mot Umnachtung, qui signifie « folie« , peut se traduire littéralement par « enténèbrement« . Il y a effectivement dans Rêve et folie un mouvement, pour ne pas dire une tension, entre clarté et obscurité tout comme entre volupté et culpabilité. L’impact de ce texte est d’autant plus fort qu’il nous parle de près sans pour autant se laisser réduire à une explication. C’est une accumulation d’images parfois contradictoires, de moments fiévreux, de sensations complexes, de visions tourmentées où l’image de la sœur, « démon flamboyant », revient régulièrement.
La concision de la langue de Trakl est telle que quelques mots suffisent à concentrer un faisceau de possibilités. Laisser à chaque instant ouverte cette multiplicité de suggestions pour que peu à peu se construise une idée plus précise de ce qui est en train de se jouer n’est pas le moindre mérite de ce spectacle hors du commun.
En allemand le mot Umnachtung, qui signifie « folie« , peut se traduire littéralement par « enténèbrement« . Il y a effectivement dans Rêve et folie un mouvement, pour ne pas dire une tension, entre clarté et obscurité tout comme entre volupté et culpabilité. L’impact de ce texte est d’autant plus fort qu’il nous parle de près sans pour autant se laisser réduire à une explication. C’est une accumulation d’images parfois contradictoires, de moments fiévreux, de sensations complexes, de visions tourmentées où l’image de la sœur, « démon flamboyant », revient régulièrement.
La concision de la langue de Trakl est telle que quelques mots suffisent à concentrer un faisceau de possibilités. Laisser à chaque instant ouverte cette multiplicité de suggestions pour que peu à peu se construise une idée plus précise de ce qui est en train de se jouer n’est pas le moindre mérite de ce spectacle hors du commun.
Rêve et folie, de George Trakl, mise en scène Claude Régy, avec Yann Boudant
jusqu’au 21 octobre au Théâtre Nanterre-Amandiers, dans le cadre du Festival d’Automne
15 – 19 novembre au théâtre Garonne – Toulouse
28 février – 4 mars 2017 au Théâtre Vidy – Lausanne
3 – 7 mai à la Comédie de Reims
19 – 26 mai au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles.
Du régal pour les vautours, de Claude Régy, livre accompagné d’un film (DVD) d’Alexandre Barry. Les Solitaires Intempestifs