Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #80: C’est l’orage qui passe…
Kinshasa, en cette mi-septembre. La rue se déchire, et Paula se confine. Chronique de trois jours d’orage politique qu’elle passe, consigne de sécurité oblige, cloîtrée chez elle.
Même l’équipe trouvait que j’en faisais un peu trop à déclarer ces jours-là:
Il est plus prudent de ne pas venir travailler!
Ce qui obligeait à des récupérations le samedi, jour béni des activités religieuses diverses et à varier.
Lundi
Ce 19 septembre, les manifestations étaient programmées, même accordées par le gouverneur de la Province. J’avais donc consigné tout le monde, y compris ma remplaçante arrivée en début de week-end. Elle connaît bien l’est du pays aux spasmes violents et répétés, alors elle a tranquillement accepté la consigne.
Dés le début de la matinée, plusieurs incidents ont été signalés: des pneus, quelques voitures, une grande affiche du « sieur-Kabila-appelant-au-Dialogue » et une station essence brulés. Plus tard, des magasins ont été pillés: l’agence d’un opérateur téléphonique et le bazar d’un Chinois, pour n’en citer que deux. Et les premiers morts.
Ce n’est pas sur eux que j’ai pleuré en fin de journée, mais sur une SVS* décédée de la sauvagerie de son ou ses agresseurs. Elle était arrivée à temps pour bénéficier de la meilleure prise en charge dans un des hôpitaux partenaires de notre projet. Il y avait une grosse chirurgie, voire deux à entreprendre, et nous avons une « enveloppe sociale » à cet effet pour les plus démunis. Mais c’était trop tard. Des salopards l’avaient trop déchirée. Je ne sais ni son nom, ni son âge, encore moins son histoire. Ce soir, j’ai pleuré une sœur et j’ai pleuré de rage.
Mardi
Je viens de passer une nouvelle journée confinée. J’ai travaillé et passé un temps considérable à m’informer pour savoir quel message je devais envoyer à l’équipe pour le lendemain: to go or not to go? Comme la matinée a encore fait couler autant d’encre que de sang, je joue la prudence. Mais les rumeurs vont bon train, obligeant à des recoupages de sources variées. Snobant les réseaux sociaux, j’échappe aux bouffées délirantes ou manipulatrices de leurs adeptes, comme cette photo d’un homme en colère lançant un cocktail molotof – que me décrira plus tard un ami, en me précisant qu’il a reconnu en arrière plan une banlieue parisienne. Je ne parviens pas à vérifier l’annonce qui aurait été faite, selon une rumeur qui court, d’une coupure imminente d’Internet comme en janvier 2015 lors des manifestations violentes contre les tentatives de référendum du régime. Demain sera encore intra-muros.
Les stocks d’urgence me rendent perplexes. Il faut sans cesse les contrôler (les denrées se périment) et imaginer des aliments assimilables sans eau et sans cuisson. Le stock du bureau, c’est sardines et sardines. A ces questions sans faim, s’ajoute l’estimation des quantités; si on prévoit pour une vingtaine, que dira-t-on aux cigales de l’immeuble qui ne savaient que chanter? Un collègue à peine débarqué dans le pays vient de passer trois jours dans son appartement à manger des pâtes au beurre de cacahouètes.
Mercredi
Toute la journée, j’ai guetté les bruits de la rue pour voir si la vie ordinaire reprenait: il y eut le passage de ce convois de 14 transports de troupe; l’entrechoquement familier des plaques de métal et la sirène des 3×8 de l’usine voisine; l’appel de la vendeuse de feuilles de manioc…
Ce soir, j’entends des clameurs dans le lointain. Joie ou colère, difficile à identifier. Mais je capte bientôt le babillage télévisuel et reconnaît le débit des commentateurs de foot. Pas de sauvages débordements dans la rue, mais des ballons tirés dans des cages en filet par des hommes à moitié nus (mais pas assez à mon goût, je dois bien dire, surtout depuis qu’on ne leur permet plus de s’échanger les maillots en public –ah ! le buste de Lizarazu…). Bref, ce sont des clameurs de fouteux. Le normal est revenu.
Pendant ces trois jours, j’ai eu de l’électricité en permanence. J’ai eu de la chance ; je venais de passer deux jours sans courant. J’imagine que l’employé en charge du délestage (je visualise un monsieur en costume cravate devant sa console chantonnant sa comptine « ça sera toi que je priverai de lumière ») n’est pas allé travailler ces trois jours. Le débit d’eau était capricieux comme souvent, mais après tout je n’avais pas non plus besoin de me laver, étant seule avec mes odeurs.
Les jours suivants, quand je suis retournée dans le monde, mes « bonjour comment ça va? » étaient plus appuyés, et plus sincères.
Enfin, un éclat de rire en entendant cette information à la radio. Facebook a cédé. Il a autorisé que soit diffusée une des photos symbole de la guerre du Vietnam, celle de cette enfant nue fuyant les bombardements. La photo avait été censurée! Il faut vraiment être ras du bulbe et particulièrement pervers pour assimiler cette enfant à de la sexualité!
* Des bien-pensants ont décrété que le terme Victime de Violence Sexuelle induisait la passivité alors, sans doute dans un coup de génie ou en conséquence d’un trop plein de caféine ou autre stimulant, le terme « Survivante » s’est imposé à eux. Il faut donc parler des SVS, des survivants de violence sexuelle. La première fois que j’ai entendu ce terme, j’ai demandé comment on désignait ceux et celles qui avaient péri. On m’a regardée, un peu gênés.
Tout Nomad’s land.
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