« Le monte-plats », un huis-clos de Pinter mis en scène par Christophe Gand.

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Adapter Harold Pinter, c’est s’interroger sur le rapport à l’autre et à la moralité. Le dramaturge britannique aime faire tomber les masques des convenances sociales et créer des personnages livrés les uns aux autres. Christophe Gand présente « Le monte-plats » au Théâtre de Poche Montparnasse. Un huis clos absurde et ténébreux, porté par deux comédiens convaincants.

Ben et Gus, deux tueurs à gages, attendent, confinés dans une espèce de cave, leur prochaine victime. Ben donne toujours, à la dernière minute, les ordres que Gus exécute. Pour le moment, c’est le temps qu’ils doivent tuer et l’attente est longue. De banalités en anecdotes, nous découvrons deux hommes atypiques, sur lesquels nous avons peu d’informations. Comme à son habitude, Harold Pinter laisse planer le doute et cultive le mystère. D’où viennent-ils? Pour qui travaillent-ils? Où sont-ils réellement? À cela s’ajoutent des balancements entre le burlesque et le tragique. Ces allers-retours empêchent le spectateur de cerner ce qui se trame; un dérapage est envisageable à tout moment. Les silences pèsent et une tension envahit l’air de leur cachette.

 

L’agitation atteint son paroxysme avec l’apparition soudaine, en milieu de scène, d’un monte-plats:  un troisième personnage dangereux et sans visage! Un pouvoir et une autorité invisibles vont se mettre en place à cause de cet appareil qui leur envoie des commandes de repas à la chaîne. Désorientés, ne sachant pas à quoi ou à qui ils ont affaire, ils tentent d’apaiser cette menace en contentant des clients invisibles. Toutes les provisions de Gus, attaché à ses petits plaisirs gourmands, y passeront. Mais les commandes continuent d’affluer. Les deux hommes, démunis faute d’explication logique, perdent patience et deviennent irascibles et paranoïaques. Gus ne supporte pas d’être privé de ses petites habitudes: ne pas pouvoir déguster ses biscuits et son chocolat en buvant son thé. Sous son aspect lunaire et râleur se cache un géant prêt à gronder. Ils ne maîtrisent plus grand-chose et doivent se soumettre à l’inconnu qui manie le monte-plats ; cette présence au dessus d’eux qu’ils devront abattre et cela quel que soit la familiarité de son visage…
Les comédiens que rien ne distingue incarnent deux personnalités énigmatiques qui tissent un lien fort, presque fraternel. Un couple étonnant et imprévisible -deux compagnons de route qui ont appris à se supporter au fil de leurs missions- qui fonctionne instinctivement en conjuguant domination, tendresse et disputes! Jacques Boudet est un Gus attachant et drôle. Maxime Lombard prend des allures de mafieux avec son accent sudiste et sa nervosité. Toujours dans un désir de maîtrise totale, il est le cerveau qui tempère et recadre.
La mise en scène de Christophe Gand rythme le texte. L’immobilisme n’est pas de rigueur. Sans cesse dans l’action, les personnages, par leur exploitation de l’espace, agrandissent la scène et poussent le spectateur à imaginer, au dessus de la cave dans laquelle ils s’agitent, une mécanique et un réel auxquels les relie la banalité d’un monte-plats.  
 
« Le Monte-plats ». Texte: Harold Pinter.  Mise en scène: Christophe Gand

Théâtre de Poche-Montparnasse – Jusqu’au 10 janvier 2016
 

Sortir avec desmotsdeminuit.fr

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