Parce que le « festival biarritz amérique latine » est le festival de référence pour le cinéma latino-américain, il lui était impossible de célébrer cette culture sans y inviter la musique qui rythme ce continent, la salsa, avec son serviteur star le plus populaire, le colombien Yuri Buenaventura
Quand à 21h10, en entrant sur scène, Yuri B demande aux spectateurs qui n’ont jamais assisté à un concert de salsa de lever la main, j’ai tout à coup la certitude que mes craintes étaient justifiées, et devant tous ces bras qui se tendent, je fus à ce moment-là sûr, je le reconnnais, que rien d’exaltant n’allait se passer dans cette salle sage. On danserait une autre fois.
Le fameux musicien allait juste faire son « taf » et on irait se coucher. La messe, avant de commencer, me semblait dite. Juste un concert de plus, aussitôt écouté, aussitôt oublié!
Il suffisait de voir les sourires sur les visages des spectateurs qui n’arrivaient plus à quitter les lieux une fois le concert fini, cette traînée de joie sur le parvis de la Gare du Midi où certains s’essayaient même à quel pas de danse, pour se rappeller soudain (comment avais-je pu l’oublier?) que TOUS les grands musiciens possédent le pouvoir de déjouer toutes les attentes et tous les pronostics des mélomanes, et qu’à part la partition et les chèques des cachets, rien d’un concert n’est jamais écrit d’avance. Ni le pire, ni le meilleur.
La nuit bien avancée, en quittant la salle de concert, m’est revenu cette phrase du philosophe espagnol José Bergamin: « Un artiste c’est quelqu’un qui connaît un secret et qui le dit, quand il le veut. » Aussi simple que cela.
Retour sur les faits: rewind…
Le matin d’abord, car c’est peut-être là, sans qu’on le pressente que s’est préparé le succès du soir.
Mais d’abord, parce qu’on est dans un festival de cinéma, revenons au cinéma. Projection dès potron-minet du documentaire « Buenaventura no me dejes mas » de la réalisatrice Marcela Gomez Montoya, un film émouvant qui revient sur l’incroyable destin de ce musicien colombien.
Puis le parcours en chute libre jusqu’au désespoir dans cette cité qu’on dit de « lumière » et que Yuri avait choisie plutôt que Miami, comme lui avait conseillé ses compatriotes. Une nuit, voyage au bout de la nuit, la fatigue suprême, et le petit colombien qui n’en peut plus se jette dans la Seine, pour en finir. Voilà aussi ce que dévoile ce documentaire. Pudiquement mais sans ambiguïté.
La chute avant le rebond.
Il survivra.
À peine un an plus tard, repéré, j’allais écrire repêché par Universal Music, il devenait, en un album « Herencias africanas » ( héritages africains) le premier, et le seul musicien de salsa jusqu’à aujourd’hui a obtenir un disque d’or en France.
Le documentaire, gorgé de musique et d’amitiés, est riche d’informations pour les fans, et les amoureux de salsa mais pas que… Les distributeurs et autres programmateurs français seraient bien inspirés d’offrir à ce film généreux produit en Colombie une vie dans nos salles hexagonales. A bon entendeur…
12 heures après cette émouvantre projection que l’artiste honora de sa présence, Gare du Midi, salle tout confort, disais-je, remplie comme un oeuf d’autruche. Un concert de « No hay billetes » comme disent les aficionados.
Et dés le premier accord, Yuri Buenaventura lance le concert comme on part à la conquête d’un désir de danser ensemble:
Avec la salsa, il s’agit de se lever pour transpirer le chagrin, la peine, et de les piétiner.
Faut dire que Buenaventura a des armes très efficaces pour vaincre toutes les timidités corporelles de nos corps occidentaux: une section rythmique irrésistible (formidable timbalero Boris Caicedo), des cuivres brûlants, une basse profonde et obstinée et une voix qui tranche, découpe et s’envole.
Yuri est un de ces chanteurs qui commencèrent dans le métier comme percussioniste. Cela s’entend dans l’energie et le placé de son chant vigoureux, dans son phrasé unique.
Et la sauce commence à prendre dans les rangées de moins en moins sages.
Dans un impeccable costume noir, vernis aux pieds, il fait de la musique en couleur avec un ton dominant, le noir. Le noir des esclaves à l’origine de sa musique, bien sûr, mais aussi le noir de la couleur des peaux de la ville de Buenaventura, cette ville de très forte inspiration africaine fondée par d’anciens esclaves et qui lui a donné son nom de scène. Son choix. Son premier disque, celui qui changea sa vie ne s’appelait-il pas Heritages africain, comme pour balayer toute ambiguïté sur l’origine et la couleur de sa musique?
Il dit et répète comme on paye une dette, que c’est auprès des noirs et de leurs traditions qu’il a puisé toute sa musique, toute sa danse:
« Je danse comme un nèg marron qui court et s’échappe dans un champs de canne à sucre ».
La première chanson, est dédiée à Patrice Lumumba, héros de l’indépendance congolaise assassiné en 1960 par le sanguinaire Mobutu. Le ton est donné (engagé), la danse est combative.
Mais si Yuri est un blanc qui joue de la musique héritée du peuple noir, il est devenu, et c’est là que les choses pourraient se compliquer, mondialement connu en adaptant des chansons françaises en salsa (reprise du Ne me quitte pas de Brel, le méga-succès du colombien). Les paradoxes de l’artiste sont là; son kaleïdoscope artistique aussi. D’aucuns y auraient perdu leur âme, ou auraient triché. Buenaventura ne fait ni l’un ni l’autre. Sans se dénaturer, il a construit des ponts audacieux mais solides entre les cultures, comme d’autres tombent amoureux, sans rien renier, sans rien trahir.
C’est donc un musicien blanc authentiquement noir, un salsero qui chante, parfois en français et qui fait sonner la langue de Molière avec un zeste de citron et une goutte de Mojito, et ce sans rien perdre de son identité, ni de ses origines.
Arrangez-vous avec ça!
Très pédagogue, un brin bavard, Buenaventura montre au public les instruments qui rythment sa musique comme cette cloche-métronome « une cloche de vache volée il y a longtemps par un esclave et transformée en instrument de musique, ou celle-là, petite cloche des chèvres de maîtres, volée et recyclée en instrument de percussion qui donne sa couleur unique à la salsa« .
Le public apprend, grace au maestro, entre chanson et chanson, quelques éléments-clés de l’identité sonore de cette musique.
De la première à la dernière mesure du concert, il va montrer avec rage et précision, comment galvaniser un orchestre de onze musiciens venus des horizons les plus divers et les plus surprenants: (« Sébastien, aux timbales, venu du fin fond… du Gers », annonce rigolard et sûr de lui Buenaventura; un trompettiste corrézien; Olivier et Julien aux trombones; tous les passeports y passent) et avec tout cet alliage hétéroclite, aussi miraculeux et improbable que cela puisse paraître, cela va sonner merveilleusement colombien, sa voix liant le tout dès qu’elle entre en jeu, son corps montrant les chemins rythmiques et harmoniques à prendre pour sonner ensemble.
C’est là le coeur de la magie et le pouvoir particulier de Yuri, son énergie de chef de meute. Le don de tous les grands leaders.
De cet homme métronome, de ce corps-métronome à la précision diabolique qui donnent à l’ensemble orchestral un son authentiquement colombien jaillit une salsa de souche, comme dirait l’autre, une couleur pura colombiana. Le public est emballé, les spécialistes bluffés.
Instant formidable et éclairant quand YB entraîne, à force d’écoute, d’autorité et de tendresse, son percussionniste gersois, à jouer mieux encore que ce qu’il sait. Le spectacle d’un maître, planté face à son « congero » et l’élevant jusquà à ce qu’il ne savait pas savoir, est enthousiasmant. Transmission d’une incandescence.
Les chansons s’enchaînent, la salle conquise est désormais debout, frappe des mains « presque » en rythme. Le public découvre, reconnaît et s’étonne lui-même, puis se laisse séduire, rend les armes aux pieds de l’artiste. Le triomphe s’installe, la salle rugit et reprend à gorges deployées un « Besame mucho » d’anthologie.
A ce moment du concert, l’evidence est là! le petit géant colombien a remporté la partie où il a voulu, comme il a voulu, quand il a voulu. Énorme métier de showman.
Pour élever la température de son concert Yuri Buenaventura a fait ce qu’il sait faire de mieux. Il a imposé sa signature unique, ce mélange improbable et pourtant irrésistible entre notre patrimoine de chansons françaises et les rythmes de son continent musical, sans que ni l’un ni les autres n’y perdent. Cerise sur le gateau, Brassens au goût de rhum (formidable reprise de « je me suis fait tout petit », Nougaro devenu « Nougarhum », (« Le jazz et la java ») ou Aznavour (« Hier encore« ), sonnent purement salsa. Autre miracle.
Et quand il lance de sa voix puissante:
Brassens a pris un chemin dont vous pouvez être tré fier en France; Le chemin de la musique de son peuple.
Rien n’aurait dû fonctionner vous disais-je, et ce fut donc un triomphe. Quelle joie de se tromper ainsi!
Yuri Buenaventura, dans les loges, peut bien rire aux éclats, peut-être content du tour joué à mon pessimisme.
Dehors la nuit biarrote s’annonce longue, Les Dj’s des bars aux alentours ont choisi de mettre de la salsa sur leurs platines, comme un hommage spontanné, comme un merci, venu cette fois, non pas de la salle, mais de la rue, la « calle« .
Demain matin, le cinéma à Biarritz reprendra ses droits. Demain.
Anecdote en forme de post-scriptum:
Le matin du concert, je demandai à Yuri de me dire s’il connaissait un chanteur français qui aurait pu, selon lui, chanter avec force et justesse de la salsa. Légère reflexion, sourire subtil et entendu:
« Reggiani, avec sa voix, lui, aurait pu; je regrette vraiment qu’il ne l’ait jamais fait ».
Moi aussi.
Puis, face à mes yeux brillants de joie et ma reconnaissance gauche, Yuri a ri…aux éclats!
La page facebook des mots de minuit, Abonnez-vous pour être alerté de toutes les nouvelles publications.
Articles Liés
- 🕺🏽Le colombien Yuri Buenaventura: la salsa sûre et le costume
Il a de Gagarine le prénom et la salsa en actes de foi. Son costume…
- Un festival pour sensibiliser au cinéma plusieurs centaines de lycéens...
Un festival de cinéma. Pas que, pas seulement! Depuis vingt ans des centaines de lycéens…
- Benjamin Laverhne: le drôle de zèbre du goût des merveilles...
En 1988, "Rain man", le film de Barry Levinson a contribué à donner au grand…
-
« Hollywood, ville mirage » de Joseph Kessel: dans la jungle hollywoodienne
29/06/202052010Tandis que l’auteur du Lion fait une entrée très remarquée dans la ...