🎥 « 12 jours » de Raymond Depardon: Filmer la loi et le flou des esprits

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Elle se dit harcelée au travail. Il porte aux poignets les traces de sa contention. Elle veut revoir sa petite fille placée en famille d’accueil. Lui demande qu’on rassure son père qu’il a tué il y a dix ans. Le juge et la chimie sont d’autres personnages principaux de ce nouveau film documentaire où se regardent « la folie » et la misère du monde. Pas nous! Que nous!

 

12 jours…

La caméra de Raymond Depardon explore ce moment de bascule où le droit de l’homme entre à l’hôpital, où le juge  vérifie le respect d’une procédure médicale visant à maintenir en hospitalisation psychiatrique une personne non consentante au delà de 12 jours. Il interviendra ensuite tous les six mois. Étrangeté radicale de ces face-à-face dans lesquels l’enfermé se livre corps et âme, conteste ou non la décision du médecin. Il peut délirer, perdre le spectateur dans son regard, remercier, monsieur ou madame le juge (« Votre honneur…« ), le cas échéant pour son « abus de pouvoir ». Toujours il est pleinement là dans sa douleur ou sa schizophrénie. La chimie, jamais loin. Face à lui, une fonction incarnée mais une fonction, protectrice d’un aléatoire médical, mais qui ne fait que valider une conformité. Bien sûr, une question magistrate, un geste ou un mouvement d’yeux disent l’humain mais il faut trois certificats médicaux différents.
Dont acte. Et le juge – qu’il soit bienveillant, semble dépassé ou neutre – n’est pas médecin et la volonté de suicide est, sinon indicible et pour cause ici, du moins inécoutable. C’est le plus « angoissant » de ce film qui met, dans un dispositif de cadrage identique, face à face une humanité et la loi censée la protéger. Et rien ne se passera jamais d’un cri, d’un geste, d’un énervement qui remettrait en cause une mécanique dans laquelle, avocats, curateurs ou infirmiers font figuration. Les psychiatres n’assistent pas à ces audiences entre lesquelles le réalisateur filme des couloirs, des chambres fermées, une cour bordée de hautes grilles infranchissables, quelques patients inscrits dans la routine d’une promenade en boucle ou la compulsion tabagique.

Raymond Depardon. Festival du film de Sarlat, novembre 2017

Raymond Depardon est dans une distance documentariste dont il dit la difficulté quand nous le rencontrons pour ce mot à mot à l’occasion du Festival du film de Sarlat. Difficulté de rester à distance de son sujet – déjà abordé dans « San Clemente » ou « Urgences » – de laisser l’empathie hors champ. Bien sûr, il y a cette patiente qui remercie pour le café offert par l’équipe mais l’essentiel est dans cette part inaccessible de l’humain qui se voit ici et qui fait écho à ce que nous pensons ne pas mais pourrions être…  

(Sortie en salles le 29 novembre 2017. Alexandre Desplat pour la musique et Claudine Nougaret pour le son et la production)
 

Liberté et santé mentale…

Une étude de la démographe Magali Coldefy publiée début 2017 montre une augmentation constante -un doublement en dix ans – des hospitalisations sans consentement en psychiatrie, mais aussi des traitements à domicile obligatoires autorisés depuis 2011. Elle pointe des disparités importantes en fonction des régions. Cet accroissement de prises en charge imposées s’explique par l’extension de leurs modalités et l’apparition de la notion de « péril imminent » qui permet la psychiatrisation immédiate par le personnel soignant sans intervention d’un tiers d’un patient arrivant à l’hôpital. 92 000 personnes ont reçu sans le vouloir des soins en psychiatrie en 2015 (32 000 d’entre elles sous forme ambulatoire) en France pour quelques jours ou plusieurs semaines. 
Durant la même période  est constatée une multiplication des pratiques d’isolement et de contention. 

Le consentement étant la régle d’or en matières de soin, la psychiatrie apparaît comme une exception dans la loi « en cas de troubles psychiatriques sévères affectant la conscience…» Une loi de 2011 a, pour mieux encadrer l’exception, prévu l’intervention du juge des libertés et de la détention dans le contrôle de l’administration des soins sans consentement; celui-ci, dans les douze jours, doit donner son aval à cette décision. Dans un cas sur dix, la décision médicale est invalidée. Le texte prévoit également la possibilité de soins ambulatoires obligatoires. 

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