Décès de William Onyeabor, le plus célèbre des musiciens inconnus
Il a fait danser l’Afrique 20 ans durant et fascine toujours les DJ’s du monde entier, mais personne ne sait vraiment qui est William Onyeabor. Question sans réponse. Il a pourtant inventé un son et un genre musical sans équivalent dans le panorama africain des années 80. Mais pas un concert, pas une interview. Rien!
Chercher à retracer sa vie, c’est juste mission impossible.
Reste sa musique.
Le musicien nigérian William Onyeabor est mort aujourd’hui à l’age de 71 ans, nous annonce sa famille.
C’est intrigant quand même cette brieveté inhabituelle. L’AFP n’annonce en effet que la mort de gens célèbres avec une biographie détaillée à l’appui. Mais là, rien de plus que ces deux lignes sybillines. William Oneyeabor était donc célèbre mais inconnu?
Bienvenue dans la biographie la plus inconsistante de l’histoire récente du journalisme musical. Ici, tout je que je m’en vais vous raconter n’est que rumeurs, mensonges, mythes et légendes. Seule demeure à notre disposition la musique de cet artiste considérable sans que l’on sache rien de sa vie. Déroulons:
Commençons par le lieu. William Onyebor est né à Enugu dans l’est du Nigéria.
Et même en écrivant cela, je n’ai pas la moindre preuve indiscutable à avancer. Embêtant pour un journaliste n’est-ce pas?
L’époque ensuite où s’inscrit sa période créatrice, avec 8 disques gravés entre 1977 et 1985: Les années 80 donc, avec la scène musicale nigérianne qui explose de vitalité et de force. Partout, la musique, comme si ce vaste pays avait besoin de danser pour panser les plaies encore sanglantes de la guerre du Biafra (1967-1970).
Le roi de la musique alors s’appelle Fela Kuti bien-sûr, un roi politique et furieux dont l’arme irrésistible contre tous les pouvoirs installés s’appelle l’Afro-Beat. Mais dans le même temps, les groupes se réclamant du funk james-brownien sont légion: Les Apostols, les Postmen ou les Funkateers, pour n’en citer que trois, transforment les dancefloors de Lagos en fête perpetuelle, et font de cette mégapole la capitale indiscutable de l’Afrique musicale des 80’s. C’est dans ce panorama d’intense créativité qu’apparaît William Onyeabor. Comme un martien! Ce gaillard-là ne ressemble à personne avec ses grands chapeaux, et de plus, il fait une musique totalement inédite en ces lieux et en ces temps. Auto-produit, William 0nyeabor est le propriétaire d’un studio mieux équipé que tous ceux des majors installés au Nigéria. Il s’y photographie, en couverture de ses disques, pour la frime et l’avertissement aux concurents. ce musicien invente dans ses albums un mélange electro-funk au tempo irrésistible. Le succès est immédiat et absolu. Partout, ses tubes, tel que l’incroyable Fantastic Man, se mettent à sonner dans les nuits de Lagos. Mais toujours la même question: Mais qui est ce type?
Et voilà que ça se complique. Onyeabor, contrairement à tous ses collègues musiciens, ne donne aucun concert, aucune interview et ne se laisse pas filmer. Juste ses gallettes ; huit 33 tours et rien d’autre. Très moderne comme concept de communication. Très frustrant aussi pour les fans.
Passons à la musique, puisqu’il n’y a que ça a se mettre sous la dent, avec ces deux hits comme exemples: Atomic bomb et Body and soul.
Alors que les musiciens nigérians de ces années-là ne peuvent pas encore importer de coûteux synthétiseurs d’Europe ou des Etats-Unis, Onyeabor, lui, visiblement très riche, dispose d’un matos à faire palir n’importe studio occidental. Synthé Moog, séquencers, micros dernier cri, table de mix grand luxe, il ne se refuse rien et le fait savoir.
Il a tout enregitré chez lui, payé de sa poche les musiciens qu’il convoque, presse et distribue ses disques lui-même, et tout ça, sans jamais sortir du bois pour rencontrer les médias de plus en plus avides de percer le mytère de cet étrange musicien invisible qui fuit les projecteurs et se cache. Une vraie petite industrie clandestine. Question suivante, inévitable: d’où vient l’argent pour produire de tels disques, puisque Onyeabor ne fait appel à aucune major, ni Decca ni Emi, pourtant à cette époque trés actifs au Nigéria?
De l’argent, Onyeabor en a donc. Beaucoup. Suffisament en tout cas pour alimenter tous les fantasmes et toutes les rumeurs. Certains jurent sur la Bible qu’Onyeabor est un avocat formé à Oxford. D’autres, dans le même temps, affirment que c’est un realisateur de films formé à l’école de Moscou, et que s’il est si riche, son argent vient de Russie. Mais tous ceux qui l’ont approché, les rares témoins de première main, semblent au moins d’accord sur une chose: Onyeabor est un type dangereux. Légendes, rumeurs, mauvaise réputation comme une assurance-vie? Va-t-en savoir! On dit aussi qu’Onyebor ne sort pas de chez lui, ne va jamais danser, on dit aussi qu’il ne mange qu’une fois par jour, mais ingurgite d’un coup un repas pour cinq personnes à lui tout seul. Un ogre, un monstre, un illuminé? Un businessman avisé? Qu’est-ce qui est vrai? Rien? Un peu de tout? Ce qui est surtout vrai, peut-être uniquement vrai, c’est qu’il est un musicien essentiel et incontournable dans l’histoire de la musique électro, de la funk africaine et de la musique populaire du vingtième siècle.
A la fin des années 80, sa production discographique cesse et il serait tombé en religion comme on tombe malade, dans une des nombreuses églises évangélistes du pays. Les dernières années de sa vie, il les aurait passé à regarder des programmes de Christian TV, sur sa télévision, sans plus reprendre une fois le chemin de ses studios, studios qu’il a d’ailleurs cherché à vendre comme pour effacer autant que faire se peut, sa vie passé de pêcheur musicien. De David Byrne aux Roots on ne compte plus les artistes qui ont succombé à sa happy-music, cette musique qui rend heureux quand on la danse. Tout simplement, joyeux et disponible. Que d’un musicien il ne reste que sa musique, finalement, n’est-ce-pas ce qui compte au bout du chemin?
Comme un petit cadeau pour conclure, cette incroyable et unique image filmée par le réalisateur anglais Jake Sumne devant la maison de William Onyeabor.
Et si c’etait William Onyeabor face à sa maison? Une image ultime avant de tirer sa révérence?
L’enquête continue, et le mystère sera forcément dansant.
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