Avec le cycle Foucault du Marathon des mots de Toulouse, la pensée et la vie du philosophe ont résonné en échos multiples dans notre actualité. Des mots pour comprendre, des mots pour militer et des mots pour pleurer… Foucault n’en finit pas de questionner notre présent, et Michel nous va droit au cœur.
Indubitablement, Foucault et son œuvre continuent à se conjuguer au présent, le « Présent de l’Indignatif » comme le suggère Olivier Carrero qui animait les rencontres du cycle Foucault, à la Librairie Ombres Blanches de Toulouse. Cette immense librairie, on y passerait bien ses journées à flâner entre les rayonnages, et on s’y sent comme chez soi, même debout au milieu des deux cents festivaliers venus écouter ce que Foucault nous dit de notre actualité. Trente ans après sa mort, la consécration du philosophe est internationale, aussi bien pour ses chefs-d’œuvre (Histoire de la folie à l’âge classique, Les Mots et les Choses, Surveiller et punir, Histoire de la sexualité…) que pour ses cours au Collège de France et ses brouillons dont la publication n’est pas encore achevée. A travers tous ses livres, le grand penseur nous montre quels dispositifs nous fabriquent comme des sujets gouvernés, traversés par la politique. Sa vie et son œuvre, rendues indissociables par les expériences de la dépression, de l’homosexualité et de l’engagement politique, nous incitent à inventer de nouveaux modes de vie et de subjectivation. Et à retrouver un sens de l’indignation libérateur.
Diagnostiquer le présent avec Foucault
Devant un public captivé se succèdent les proches et les héritiers spirituels de Foucault, d’abord le sociologue Daniel Defert, qui fut pour Michel Foucault l’homme de sa vie, puis les philosophes Didier Eribon et Geoffroy de Lagasnerie, qui contribuent tous deux à diffuser et à actualiser sa pensée. Defert, qui vient de publier Une vie politique au Seuil, évoque avec beaucoup d’humour ses souvenirs de jeune militant normalien, très actif au sein de la Gauche prolétarienne et de l’UNEF, puis compagnon d’armes et de vie de Michel Foucault. Comme le disait leur amie très proche Simone Signoret, les deux philosophes contribuèrent à la visibilité des couples gays, à une époque où l’homosexualité restait difficilement acceptée, notamment dans les milieux ouvriers. Avec la création du Groupe d’Information sur les prisons en 1971, pour lutter contre les conditions de vie déplorables des prisonniers, ils font émerger dans l’espace public les voix des détenus: militer contre les stigmatisations de toutes natures, ce sera l’œuvre de leur vie commune, poursuivie par Daniel Defert après la mort de Foucault en 1984. Il fonde en effet Aides, la première association de lutte contre le Sida, convaincu que la solidarité est l’unique manière de traverser les luttes et les drames, politiques ou intimes.
Didier Eribon (auteur d’une biographie de référence, Michel Foucault, Champs, Flammarion) et Geoffroy de Lagasnerie (La dernière leçon de Michel Foucault, Fayard) s’affirment eux aussi comme des héritiers du philosophe, « héritiers d’une attitude » plus encore que d’une pensée. La lecture de Foucault, pour Geoffroy de Lagasnerie, permet de « retrouver l’intransigeance envers le monde moderne« : sa critique « des sols qui constituent nos existences, l’école, les hôpitaux, les tribunaux…« , amène à la prise de conscience « qu’on vit dans un monde intolérable » par les violences qu’il met en œuvre. Lire Foucault pour proposer un diagnostic éclairé de notre actualité, pour « faire une critique non passéiste du présent« , c’est l’entreprise intellectuelle difficile assumée par les deux philosophes. Le concept de « néo-libéralisme« , étudié par Geoffroy de Lagasnerie dans La dernière leçon de Michel Foucault, suscite par exemple des débats très vifs, comme le montrent plusieurs questions venues de la salle. L’attention au sens des mots – le néo-libéralisme de Thatcher peut-il être rapproché des attitudes libertaires ? – est la seule manière de dépasser notre inconscient théorique. La pensée de Foucault est donc éminemment d’actualité, et ses héritiers – connus ou moins connus – emplissaient la salle. La présence d’Edouard Louis dans le public ne pouvait qu’évoquer la filiation entre le philosophe et le jeune auteur d’En finir avec Eddy Bellegueule, révélation de la dernière rentrée littéraire.
Ce qu’aimer veut dire
Pour Daniel Defert, l’engagement politique et militant « fut une manière de porter le deuil » de Foucault, qui meurt le 25 juin 1984. Les belles lectures proposées en salle du Sénéchal par Clément Hervieu-Léger et Guillaume Poix ont fait entendre d’autres voix endeuillées, celles de Mathieu Lindon et d’Hervé Guibert qui formèrent un trio amical et intellectuel indéfectible avec le philosophe. Avec beaucoup de douceur et de pudeur, les extraits choisis dans Ce qu’aimer veut dire de Mathieu Lindon, dans Mauve le vierge et A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie d’Hervé Guibert font entrer dans l’intimité du philosophe. Son appartement, rue de Vaugirard, est évoqué sobrement par un canapé et un fauteuil rouges et blancs. Pas de sexualité entre les trois amis, mais une paternité spirituelle et une fraternité de cœur que chacun exprime dans une œuvre littéraire, le témoignage pour Mathieu Lindon, la fiction pour Hervé. Dans ces récits, on oublie peu à peu Foucault car c’est Michel qu’on pleure. L’homme et le philosophe n’en finissent décidément pas de nous aller droit au cœur.
Toulouse – Le Marathon des Mots. jusqu’au 29 juin.
http://www.lemarathondesmots.com/
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