Deux coups de cœur dans les publications humoristiques de ces dernières semaines: « Le Best of des Lois les plus bizarres dans le monde entier » de Marc Hillman chez Librio et « L’Atlas des préjugés » de Yanko Tsvetkov aux Arènes.
Ou comment nous prouver que le droit et la géographie, ça peut aussi être drôle.
Canular ou législations ?
Quand on l’ouvre au hasard, on croit d’abord au canular. Qui peut imaginer que dans le Minnesota, il n’est pas toléré que les hommes et les femmes accrochent leurs sous-vêtements à la même corde à linge? En Floride, si vous êtes célibataire, divorcé ou veuf, pourquoi êtes-vous interdit de parachute le dimanche après-midi ? La masturbation est-elle vraiment punie de décapitation en Indonésie ? Bonne nouvelle au Texas: vous serez passible d’une amende si vous possédez plus de six vibromasseurs, mais les cinq autres joujoux rangés dans le tiroir de votre table de nuit ne devraient pas vous causer d’ennui. Et saviez-vous qu’en France, vous risquez un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende si vous appelez au boycott des produits d’un autre pays ?
Incrédules on est, sidérés on restera: ces lois n’en sont pas moins toutes véridiques. Classées en onze catégories – « Vie domestique« , « Ordre public et bonnes mœurs« , « Automobiles et circulation« , « Interdits religieux« … – ces lois se passent de commentaires, et ne sont que rarement accompagnées de brèves explications. Elles n’épargnent aucune sphère de nos vies et chaque pays semble avoir conservé ses décrets aberrants ou franchement scandaleux, les Etats-Unis en tête.
Qu’elles régissent les prénoms que de nouveaux parents peuvent légalement donner à leurs enfants ou les pratiques alimentaires, ces lois en disent long sur le système de croyances et les valeurs propres à chaque société. On ne s’étonnera pas que le prénom « Anus » soit interdit au Danemark, et « Vagina » en Belgique, mais pourquoi est-il illégal de stériliser un chien en Norvège ou de peler une orange dans une chambre d’hôtel californienne ? Et comment comprendre qu’au Paraguay, « se battre en duel est légal, à condition que les duellistes soient enregistrés comme donneurs de sang« ? Page après page, on se demande quels groupes de pression ou quelles réalités ont poussé les législateurs à proposer ces lois, et on reste parfois ahuri qu’elles aient perduré jusqu’à nos jours.
Les interdits religieux ou superstitieux, utiles si vous voyagez, sont également édifiants: en Israël, les hommes juifs pieux n’ont pas droit aux jeans moulants, et les Témoins de Jéhovah sont privés de fêtes d’anniversaire partout dans le monde. Vous apprendrez aussi qu’il ne faut jamais offrir de chapeau à un Chinois, à moins de vouloir le traiter de cocu, et que vous risquez la mort si vous achetez des clous, la nuit, au Cambodge.
Ce petit livre vient rejoindre les deux autres titres de la nouvelle collection « Humour » de Librio, lancée en novembre 2014. Bourgs et calembourgs pourra occuper les longs trajets en voiture des amateurs de jeux de mots du type « Dans le Doubs, abstiens-toi ! » ou « Une bordelaise enceinte devient très vite une femme Gironde. » Et Avant j’avais une vie, maintenant j’ai des enfants de Candice Kornberg Anzel, qui est déjà un succès de librairie, permettra aux mères de déculpabiliser en lisant des « interviews parentalement incorrectes » ou des témoignages vengeurs contre tous les squatteurs que les parents ne peuvent même pas déclarer sur leur feuille d’impôts, de la grand-mère « connasse » à doudou lapinou. Les trois prochains titres sont attendus en mai.
L’Atlas des préjugés ou la géographie qui nous fait rire
Tout aussi drôle et édifiant, l’Atlas des préjugés de Yanko Tsvetkov propose un tour du monde en quarante belles cartes aux couleurs de nos stéréotypes nationaux. Perçu par le premier être humain, par les Grecs anciens ou par les divers membres de l’Union Européenne, le monde prend les formes de nos peurs et de nos inimitiés. Une belle leçon de relativité.
Né en Bulgarie, voyageur polyglotte de la génération « Erasmus » et mordu de géographie depuis son plus jeune âge, Yanko Tsvetkov grandit dans la diabolisation des pays capitalistes, avant d’être confronté aux multiples facettes des stéréotypes occidentaux. Avec le temps, le cinéaste reconverti en « alphadesigner » comprend que les lignes des frontières bougent au rythme des colonisations et des libérations nationales, mais qu’elles évoluent aussi selon le point de vue de l’observateur, trop souvent chauvin malgré lui.
À partir de quelques repères historiques brièvement évoqués, des premiers chamans à Barack Obama, Yanko Tsvetkov propose des « cartes satiriques » qui se répondent d’une page à l’autre. Les historiens apprécieront l’Europe vue par la Grèce ancienne, par Charles-Quint ou par l’Autriche-Hongrie en 1914, mais on s’attardera surtout aux cartes du monde contemporain qui dessinent des Europe perçues par les différents acteurs d’aujourd’hui. Vue par la France, les Anglais restent les « Brûleurs de Pucelle » et la Russie « le rêve de Napoléon« , tandis que pour les Grecs, l’Europe est « L’Union des Bourreaux de travail radins » et l’Italie le pays des « Plagiaires » qui n’ont jamais fait que les copier. Quant à la Turquie et aux Turcs, ils ne sont « Pas près d’être Européens » pour les Français, « Réserve de Main d’œuvre » pour les Allemands, « Colonie Touristique » pour la Russie et pays des « Danseuses du ventre » pour les Italiens.
D’une carte à l’autre, au-delà du rire, des problématiques politiques et religieuses majeures sont graphiquement représentées. La carte « Boule de Cristal« , celle de l’Europe en 2022, ne peut laisser indifférent: l’auteur imagine un grand schisme entre un « Merkelreich » prospère à l’Ouest et une Union Européenne appauvrie à l’Est. Les environs de Rome, envahis par les gays, auraient conduit au déplacement du Vatican en Castille. Quant à la Grèce, devenue une colonie de la Chine, elle ouvrirait sur la « Mer de Chine du Sud » et fabriquerait des statues de pacotilles à la chaîne…
Dernière idée de cadeau, le nouveau volume du New Yorker consacré à L’humour à l’hôpital, publié également aux Arènes. En presque deux cents pages, cette sélection des meilleurs dessins publiés par le New Yorker depuis 1925 épingle toutes les petites absurdités de l’univers médical, depuis la consultation du médecin de famille ou du grand psychanalyste jusqu’au bloc opératoire. À l’heure des bronchites de fin d’année, une bonne manière de rire de soi en restant bien au chaud, ou de savourer un peu d’humour noir entre deux chocolats.
Le Best of des Lois les plus bizarres dans le monde entier, Marc Hillman, Librio, 3 euros.
Atlas des préjugés, Yanko Tsvetkov, Les Arènes, 14,90 euros.
The New Yorker. L’humour à l’hôpital, Jean-Loup Chiflet, Les Arènes, 24,80 euros.
La critique Littéraire desmotsdeminuit.fr
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