Grégoire Bouillier, romancier et Catherine Chabert, psychanalyste. #558
Il faut deux mille pages, autant de fantasques digressions et plusieurs années au romancier pour « gommer » M du cœur de sa vie. Moins de deux cents mais des heures de divan à celle dont l’écoute est métier pour dire la déliaison avec l’objet d’amour. Une profusion et une brièveté magistrales, l’une comme l’autre. Pour le plaisir du lecteur et pour la compréhension de l’humaine condition
Des Mots De Minuit : émission n° 558 du 22 février 2018
Réalisation : Emi Maki
Rédaction en chef : Rémy Roche
Coordination : Marie-Odile Régnier
Direction: Philippe Lefait
© desmotsdeminuit.fr
Dans le premier cas, un narrateur, au fil des errances de sa pensée et de ses libres associations qui vont du poker au tour du monde en solitaire à la voile en passant par la pornographie toutes positions déclinées, finit par conjuguer au passé un amour de machine à café (si, si, vous lirez!) qui l’a littéralement possédé? Obsédé? Halluciné? Envahi? Retranché? Subjugué? Passionné, à tout le moins.
Dans le second, une doublement « supposée sachante » (elle est universitaire et psychanalyste) s’essaye à explorer cliniquement et théoriquement les empêchements liés à l’attachement et à la difficulté de « faire le deuil » – même si l’expression est aujourd’hui galvaudée – au propre comme au figuré, qu’il s’agisse de mort ou de la séparation d’avec un objet d’amour. On (je) peut(x) le quitter, le disposer sur les étagères de sa/ma mémoire, ou doubler sa/ma peine dans la mélancolie ou la jouissance de la souffrance.
Monumental. Au delà du poids anecdotique de deux livres aux multiples niveaux et à l’arborescence numérique, Grégoire Bouillier réussit un tour de force: poser la question de la littérature et de la passion humaine. « Il faut se sentir défendu par un livre! » dit-il. Mission accomplie: pour lui comme pour son lecteur!
Réussir à être soi. Voilà ce à quoi nous incite Catherine Chabert. Battre à leur propre jeu la douleur, l’angoisse ou la répétition; métaboliser ce qui fait souffrir sans le refouler ou le convertir en symptômes: l’enjeu d’une psychanalyse. De fait, savoir dire non ou réussir à être le sujet de sa vie. Il s’agit bien alors de l’érection d’un monument de chair, d’humeurs et d’esprit …
CONVERSATION :
En littérature, c’est très compliqué de faire passer l’idée que le projet c’est d’abord le livre, pas ce qu’il y a à l’intérieur. Le sujet du livre, c’est le livre! Ce n’est pas juste son contenu et c’est très compliqué d’arriver à parler de ça. C’est très très compliqué parce que le contenu absorbe tout!
Grégoire Bouillier. DMDM, 2018.
Grégoire Bouillier. DMDM, 2018.
Feuilleter « Le Dossier M » Livre 1
Feuilleter « Le Dossier M » Livre 2
ledossierm.fr
Je ne sais pas comment on se débrouille avec l’angoisse, la douleur, le deuil. Ce dont je parle c’est de la manière dont on le fait avec l’analyse… Je ne crois pas qu’on puisse jamais y échapper. Je ne pense pas que la société contemporaine, en dépit de tous les artifices suceptibles de lutter contre ces éprouvés permette de s’en défaire. De la même façon que je ne pense pas qu’on puisse jamais se défaire de la joie ou du plaisir.
Catherine Chabert. DMDM, 2018
Ce livre suit les traces, dans le transfert, de quelques scènes de séparation, de rupture, de disparition et de retrouvailles. Si l’angoisse, le deuil et la douleur permettent d’en saisir les affects et les effets dans l’expérience de l’analyse, si la métapsychologie tente d’en apprivoiser le sens, la littérature ouvre, elle aussi, les voies de la libération intérieure. Et c’est enfin la folie de l’amour, dont la démesure est parfois indispensable, qui assure la lutte acharnée contre l’absence et l’oubli. » © PUF
« L’objet qui les prolonge … » :
– Catherine Chabert a apporté un livre de son enfance : « La petite princesse » publié en 1888. Une petite fille finit par accèder à son « intérieur » et par trouver une identité et se poser en sujet après qu’un adulte a fini par l’écouter et lui a permis d’intégrer ses souvenirs …
– Grégoire Bouillier sort de sa poche la bille de son enfance qu’il a toujours avec lui. Alors qu’un camarade qui voulait absolument lui parler l’interrompt dans son jeu et shoote dans l’objet, le petit Grégoire connaît un accès de violence et « scalpe » l’outrecuidant ami …
MUSIQUE :
« Triste sina » par Demian Cabaud & Carolina
« Dans le cadre du projet New European Songbook, six pays européens collaborent en célébrant le renouveau de la musique du vieux continent avec sept créations originales mettant à l’honneur les influences venues d’ailleurs et le métissage sonore. »
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