Manger les croûtes de fromage d’autrui est-il une preuve d’amour? #75
À l’instar de boire une gorgée de vin dans le verre de l’être aimé, rogner ses croûtes de fromage permet-il de lire dans ses pensées?
Avez-vous remarqué que les mets les plus délectables en sont issus? Avec un trio magique: pain-vin-fromage! Mais il concerne aussi le cacao, le thé et le café. Et la bière, le yaourt, le vinaigre, la sauce soja, les pickles et la choucroute.
Il s’agit du premier mode de conservation. Avant les frigos, les « Tupperware » et garde-manger, avant même la salaison, le fumage ou la poterie… Quand il n’y avait rien d’autre solution pour conserver un aliment que de le laisser vieillir dans un coin à l’abri des prédateurs, en espérant que la température et l’hygrométrie ne le fassent pas pourrir trop vite. L’évolution chimique inhérente à chaque aliment (en fonction de son taux de sucre, des bactéries qui le recouvrent naturellement, de l’absence ou de la présence de lumière et d’air), en transformant sa nature, l’a comme « fixé » dans le temps, arrêtant son processus de décomposition. Il ne se dégrade plus mais continue sa maturation.
Bactériologie
Se bonifie même! Car les colonies de bactéries ainsi engendrées, une fois qu’on les ingère, sont rien de moins que nécessaires à notre santé! Colonisant notre tube digestif, vivant en symbiose avec notre organisme, elles effectuent un sacré boulot de valorisation des nutriments, tout en combattant activement les éléments indésirables. Leur talon d’Achille, c’est qu’étant vivantes, elles sont à leur tour balayées par les antibiotiques. Il faut donc régulièrement les entretenir et les réensemencer. A partir de quel âge? L’âge de 12 mois préconise l’INRA dans une étude qui alerte sur le nombre croissant d’allergies dans la population depuis les années 80 qui est lié à une alimentation contemporaine trop propre et trop aseptisée.
Une alimentation trop morte, en d’autres termes. Dans laquelle les aliments (vivants au départ) sont pasteurisés ou thermisés, surgelés, déshydratés, hydrogénés et bourrés de conservateurs chimiques. Pourquoi? Pour conserver leur insipidité et leur pauvreté nutritionnelle… mais leur apparence intemporellement neuve.
L’étude de l’INRA ne s’arrête pas au fromage. Elle loue toutes les rencontres positives entre un système digestif infantile et les bactéries naturelles d’une ferme, dont elle constate les bienfaits sur le système immunitaire pour toute la vie.
Fleurie, lavée, brossée ou persillée?
On visualise bien l’acte d’amour familial que constitue un repas d’aliments naturels et fermentés. Mais pourquoi les croûtes de fromage particulièrement? Le sujet divise. Mon grand-père issu d’une famille de bergers et lui-même fromager éliminait les angles de son camembert. Tandis qu’aux États-Unis, les recettes à base de croûte de parmesan pullulent sur les sites gastronomiques pointus.
Que décider? Faire appel au libre-arbitre devrait nous aider à nous positionner: si l’on considère que la peau du Babybel est en paraffine, il ne sera pas très pertinent de la manger. Idem pour le Gouda et l’Edam. La cire qui les recouvre n’est pas comestible (= pétrole). Les étiquettes en papier et la colle non plus…
En revanche, pour les autres fromages, pour peu qu’ils ne soient pas trop industriels (attention, révélation santé et gustative décisive!) il faut savoir que les croûtes sont bourrées de minéraux (zinc et sélénium, puissants antioxydants) et de vitamines, surtout du groupe B efficaces pour lutter contre la fatigue. Elles contiennent également des probiotiques, utiles pour le système digestif et pour renforcer l’immunité.
Laisser sa croûte
Au diable les compléments alimentaires de pharmacie, les smoothies détox, kéfir bio, jus vert, kombucha et poudre de perlimpinpin activée. Les croûtes de fromage sont un parcours-santé à elles toutes seules! Vous pouvez les déguster sous toutes leurs formes: accrochée à leur bout de fromage d’origine ou glanées sur le rebord d’une assiette voisine, coupées avec précision et sans perte, ou mordues à pleine dent.
Le potentiel glamour reste à doser avec précaution, et il est déconseillé de cumuler: boire le sérum des yaourts des enfants, engloutir les peaux de poisson fumé et le gras de viande de toute la tablée (malgré leur richesse en collagène et en oméga, précieux produits de beauté qui risquent de partir à la poubelle), se servir une rasade de vinaigre au réveil, lécher les tanins du fond de la carafe de Bordeaux et gober une gousse d’ail. Il s’agit là d’un comportement de sanibroyeur peu élégant qui desservira la cause de la réhabilitation des croûtes fromagères.
Si l’être de vos pensées glisse amoureusement ses rognures dans votre assiette, réjouissez-vous: vous avez rencontré le véritable amour. Cependant, si vos sentiments sont à la hauteur des siens et que vous misez sur une longue et saine vie ensemble, convainquez-le de les manger lui-même.
Pour répondre au titre de cette chronique: manger les croûtes d’autrui est moins un acte d’amour qu’une appropriation opportuniste d’alicaments! Pour s’aimer les uns et les autres, répandons la bonne nouvelle et partageons équitablement ce trésor.
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