Panse de brebis farcie, rognon blanc, cervelle d’agneau… Attention cette chronique n’est pas vegan* compatible, car elle est consacrée aux délices de la ripaille moutonnière!
J’aimerai commencer par m’insurger contre ce racisme anti-vieux qui touche aussi bien les ovins que la vie politico-amoureuse. Si un mouton peut officiellement porter le nom « d’agneau » jusqu’à l’âge d’un an, il n’est pas rare de voir s’évanouir le consommateur (français) quand on lui parle d’un animal âgé de deux ans. Comme si, tel un yaourt tamponné d’une DLC, la viande devenait impropre à la consommation le jour de l’anniversaire de l’animal! J’ai assisté aux déclassements par l’abattoir d’agneaux qui avaient une semaine de trop, et payés un tiers du prix à l’éleveur mortifié.
L’exigence d’une viande très jeune est un snobisme récent, et très européen. Et surtout déplacé. Car ce qui influe réellement sur la saveur de la chair n’est pas son âge mais son mode d’élevage. Si un animal croissant en harmonie avec son herbage garde une chair délicieuse en grandissant, il est vrai qu’un agneau privé d’herbe fraîche et complémenté en céréales, maïs et soja, acquiert vite un goût sans intérêt qui peut tourner au franchement pas bon. C’est hélas le mode d’élevage de la majorité des agneaux français, même si, parfois, ils bénéficient d’un label. Il y a des cahiers de charges tellement étranges qu’on se demande si on peut vraiment parler de gages de qualité?
Dans la plupart des cultures traditionnelles, il ne viendrait à l’esprit de personne de manger un bébé animal. On attend qu’il se reproduise et permette d’agrandir le cheptel avant de le tuer. On consomme des animaux adultes, naturellement issus de pratiques extensives. Puisqu’ils n’ont pas été surnourris artificiellement mais ont optimisé la moindre touffe d’herbe disponible, leur goût n’est jamais « trop fort ». On peut donc en déduire que cette obsession de l’âge du bétail est un alibi trouvé par l’agriculture intensive pour justifier le mauvais goût que donne une alimentation médiocre plutôt que l’herbe naturelle.
Le mouton est un ruminant, c’est-à-dire un herbivore. Non un granivore comme les poules, encore moins un « maïsvore »! S’il parviendra toujours à en ingérer de grandes quantités par manque de choix, c’est comme un enfant nourri exclusivement de « fast food »: il sera dodu à souhait, recouvert d’une bonne couche de couenne qui attendrit la chair à la cuisson, mais pas en bonne santé, avec un foie cirrhosé et une sueur odorante pleine de l’excès de toxines.
Je suis tentée de faire un parallèle avec un ruminant sauvage, le chevreuil, qui pullule autour de chez moi. Après avoir tiré, un chasseur ne demande pas ses papiers d’identité à l’animal pour vérifier son âge, ni ne boude sa dégustation sous prétexte qu’il s’agissait d’un vieux mâle « au goût fort ».
Enfin, il faut savoir que réclamer de l’agneau nouveau-né à chaque saison va à l’encontre du métabolisme du mouton. Les élevages qui vendent toute l’année de très jeunes agneaux modifient artificiellement les chaleurs des brebis avec des hormones afin de les inséminer aux dates qu’ils souhaitent. C’est une opération précise et très technique, qui engendre un coût supplémentaire important. Dans le prix que le consommateur paye son morceau de viande, un gros pourcentage va donc servir à payer les frais vétérinaires, les hormones de synthèse, l’inséminateur, le laboratoire qui a sélectionné la semence de bélier, etc. Je termine par un coup de projecteur sur l’agneau de lait: il provient souvent d’élevages laitiers. L’agneau est séparé de sa mère quelques jours après sa naissance car la matière précieuse qu’est le lait est destinée à la traite. Le nouveau-né sera abreuvé non pas du lait maternel mais de lait en poudre distribué dans un multi biberon. Ce lait reconstitué contient de l’huile de palme, de soja, du gluten de blé et d’autres additifs peu coûteux visant à le rapprocher du lait de sa mère… sauf qu’il ne provient pas d’une paire de mamelles mais d’une usine de déshydratation. Le petit agneau tendre et rosé de Pâques n’a jamais couru dans l’herbe, il a juste vécu entre quatre barrières en galva avec un lot de confrères calibrés à l’identique.
Je stoppe ici mon insurrection car le sujet peut vite sombrer dans les farines animales, la vache folle, les lasagnes au cheval ou la maladie de la langue bleue…
Il me semble plus appétissant d’évoquer des recettes qui permettent non seulement de découvrir la viande de mouton sous un nouveau jour, mais également de valoriser des morceaux moins recherchés. Des pièces moins nobles donc moins onéreuses, ce qui permet d’accéder avec un petit budget à des qualités de viande supérieures chez votre boucher – qui travaille en principe au sourcing de sa viande et connaît l’élevage d’origine.
Les merguez servent souvent de fourre-tout pour valoriser les morceaux non présentables ou invendables. Mouton, bœuf ou veau: on trouve le pire comme le meilleur. Si les barquettes de merguez premier prix dans la grande distribution s’apparentent aux « déchets » type gras, tendons, cartilage et autres résidus de découpe, les merguez préparées par un boucher servent à écouler les pièces invendues ou les bas morceaux comme les poitrines. Leur composition évolue donc en fonction de l’état des ventes. Les merguez, c’est aussi le moyen qu’ont les éleveurs de valoriser les animaux réformés quand ils pratiquent la vente directe. Tous les morceaux se retrouvent ainsi dans la merguez, y compris les plus nobles, d’où leur qualité gustative.
Dans un mouton, la panse prend une telle place qu’il serait impensable de ne pas la célébrer! La panse, c’est son rumen (là où se stocke son bol alimentaire avant qu’il le régurgite quand il veut le ruminer tranquillement), un des fameux « quatre estomacs » dont on apprend l’existence quand on est enfant. Cet organe prend presque toute la place de l’abdomen d’un mouton et est constitué d’une grosse poche d’herbe prémâchée. Quand on l’ouvre, l’odeur évoque la tonte de gazon en train de fermenter sur le tas de compost. Mon ami Bernard, le papa de la brebis Bernadette, m’a fait découvrir une divine recette de tripes, avec la panse de ses agneaux qu’il lave lui-même dans la rivière. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des Bernadettes dans son jardin – ni même sa propre rivière – mais les tripes d’agneaux sont si raffinées et si fondantes qu’elles valent le coup de se réconcilier avec ce plat à la réputation rustique.
Quant à la panse des moutons adultes, les Écossais la mettent en valeur dans leur haggis, en la remplissant d’une farce faite des poumons et des abats, accompagné d’un whisky. Les Britanniques raffolent par ailleurs du suif de mouton, la graisse des rognons fondue, notamment utilisée dans le Christmas Pudding.
A quelques encâblures de là, l’Irish Stew constitue le plat national irlandais. Il s’agit bêtement d’une potée de morceaux de moutons avec carottes, oignons et pommes de terre, cuisinés à la bière… des ingrédients basiques faciles à trouver. En termes de pot-au-feu et de fond de « frigo », j’ai exploré tous les temps de cuisson et aromates dans mes propres ragoûts de mouton. Certaines de mes brebis âgées sont trop attachantes – et appétissantes – pour que je laisse des étrangers les dévorer. Je leur rends donc hommage en les dégustant moi-même. Hacher les morceaux donne une excellente base pour des burgers, des boulettes façon fallafel, de la terrine, et même du saucisson. L’expérience du fumage a été tentée, comme du jambon, tels que les Norvégiens le pratiquent en accrochant des plantes sauvages à la viande dans le fumoir pendant plusieurs semaines, le fenalår, mais les résultats n’ont pas été concluants. Mes moutons manquent peut-être de gras, ou leur chair, naturellement imprégnée de sel, a réagi de manière inattendue au procédé de fumage.
J’ai un jour récupéré du sang frais avant qu’il ne caille, pour expérimenter le boudin noir. N’ayant pas d’instrument pour le mettre dans un boyau, je l’ai cuisiné en fricassée à la poêle avec des oignons, une amusante découverte (peut-être pas tous les jours?!). Pour ce qui est des abats, la cervelle a ma préférence. Elle a un temps été interdite à cause d’une maladie règlementée liée à la moelle épinière. Quelle joie de la revoir autorisée! Elle se suffit à elle-même, dorée au beurre et à la fleur de sel.
Je suis moins enthousiasmée par les foie, cœur, rognon… que je trouve trop riches et saturés de protéines de l’animal. Je n’ai pas non plus dégusté avec plaisir les « rognons blancs » des mâles non castrés, dont la symbolique m’a peut-être anesthésié les papilles. Mais les jarrets, bien que peu viandés, sont conviviaux à rogner après qu’on les a posés sur des braises.
Le couscous constitue le plat mouton-friendly par excellence, et tout y passe: langue, joues, pattes, collier, queue… Il vaut mieux ne pas le savoir avant de passer à table, mais quel divin bouillon! Nota Bene: se souvenir de ne pas déranger la maîtresse de maison dans sa cuisine quand elle retire du faitout la tête qui y mijotait depuis douze heures.
Les pays orientaux se sont approprié le mouton comme viande courante. Il se retrouve de manière aussi populaire en tajine berbère qu’en tikka Massala ou tandoori, en lamelles sautées dans la gastronomie chinoise, grillé au japon, en Horhog en Mongolie, chachlik en Russie, goulash dans les Balkans ou kjötsupa en Islande. Rien que ce joyeux vocabulaire et ces arts-de-la-table culturels donnent l’eau à la bouche!
Pour toutes ces alléchantes raisons, ne semble-t-il pas dommage (limite mesquin) de se contenter d’une tranche de gigot nature ou de deux côtelettes poêlées?
* Véganisme
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