Sur les champs de bataille de la Guerre civile 🇺🇸 Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #254
Marco, fasciné par l’ampleur des manifestations dans toutes les grandes villes américaines contre les violences de la police et le racisme, ne s’était pas rendu compte que dans la petite ville de Virginie où il habite, on manifestait de même.
Nous vivons à proximité d’une petite ville de Virginie, Fredericksburg, à une heure et demie de voiture de Washington en temps de COVID-19, et environ deux heures en temps normal. Nous sommes à la limite de l’Amérique profonde, celle qui prie, qui est souvent pauvre, qui défend le droit de porter des armes et qui abuse des opioïdes.
Située à mi-chemin entre Washington et Richmond, qui est la capitale de la Virginie et qui fut la capitale des Confédérés pendant la guerre civile (1862-1864), la région fut le théâtre de combats meurtriers. À l’occasion de la première bataille de Fredericksburg en 1862, qui opposa 120 000 soldats unionistes à environ 80 000 soldats sudistes, 10 000 esclaves prirent la fuite des plantations de Virginie pour gagner la ligne Mason-Dixon* et la liberté. Le Nord perdit cette bataille décisive, qui fit près de 2 000 morts et 14 000 blessés, et la guerre s’enlisa.
Fredericksburg est aujourd’hui une bourgade tranquille de 25 000 habitants, avec un centre historique (Paula roule des yeux), des lieux commémorant les batailles, six kilomètres de centres commerciaux, une université, un grand hôpital, et un taux de criminalité record. Les maisons arborent parfois le drapeau sudiste, pour rappeler qu’ici on se défie des Yankees et des élites libérales. Vingt pour cent de la population est noire, 78% est blanche.
Il y a deux jours, jetant un coup d’œil à la une du Free Lance-Star, le journal local, j’eus la surprise d’apprendre qu’à Fredericksburg aussi, il y avait depuis dimanche des manifestations contre le meurtre le 25 mai à Minneapolis de George Floyd, un Noir américain, tué de sang-froid par un officier de police blanc. Les manifestations dans toutes les grandes villes des États-Unis qui ont rapidement suivi ne m’avaient pas vraiment surpris, pas plus qu’elles n’ont surpris nombre de nos amis américains ou vivant aux États-Unis.
Les mille facettes de la discrimination …
La violence contre la population noire est un vieux stigmate, si vieux et si ancré qu’il n’arrivait plus à choquer la grande majorité des Américains, en dépit – ou à cause ? – des incidents renouvelés qui restent généralement impunis. Il faut se reporter aux études scientifiques pour vraiment appréhender l’ampleur de la discrimination à l’égard de ceux dont la peau est d’une autre couleur. Une discrimination qui a mille facettes, comme autant de petites coupures: le refus de prêts immobiliers, la longueur des condamnations de justice, le taux de réponse aux candidatures pour un travail, les contrôles de police plus fréquents, tous les aspects de la vie y sont soumis.
La violence de la police américaine est une autre vieille histoire qui ne fait que se répéter ; en 2018 la police américaine a abattu 995 personnes (la police française 26, la police japonaise 2**, et les études montrent que le niveau de violence de la police n’est pas en relation avec le niveau des crimes violents dans leur ville.
Impunités policières et genoux à terre …
Orlando (Florida) qui a un niveau de criminalité relativement peu élevé connaît une forte violence policière, alors qu’à Buffalo (New York), où la criminalité est élevée, la violence policière est relativement faible. Une disparité qui n’est pas expliquée par les études de sociologie. Quant à l’impunité policière, elle peut être expliquée par la puissance des syndicats de police qui fonctionnent sur un mode extrêmement corporatiste et entretiennent de fortes connexions avec les milieux politiques, principalement républicains (« l’Innommable » ne manque d’ailleurs pas de s’en vanter).
Il est difficile d’appréhender ce qui détermine la culture des départements de police américains, mais il faut se rappeler que les chefs de la police, les shérifs, sont élus. Dans certaines villes la police est descendue sur les manifestations de ces derniers jours avec des grenades lacrymogènes, du gaz poivre et du matériel militaire (l’armée américaine a un programme pour fournir à la police certains des armements dont elle ne veut plus), tandis que dans d’autres villes les officiers de police se sont joints aux manifestants ou ont mis un genou à terre (geste de protestation contre le racisme initié en 2016 par le joueur de football américain Colin Kaepernick.
Une partie de la population de Fredericksburg s’est donc jointe, à ma surprise de vieux cynique, aux manifestations qui secouent toutes les grandes villes. Ici aussi il y a eu des tirs de grenades lacrymogènes, mais ici aussi des policiers se sont joints aux manifestants. Et ici aussi, sur ces champs de bataille de la Guerre civile, les manifestants étaient blancs et noirs, montrant qu’en dépit de sa lenteur proverbiale, l’Histoire avance.
* Qui fut un temps frontière entre États abolitionnistes au Nord et esclavagistes au Sud.
** La population du Japon représente environ 1/3 de celle des États-Unis, la population de la France 1/6.
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