Le mirage des retrouvailles. Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #220

Refaire couple...
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La Carte de Tendre*

Paula a rejoint Marco aux États-Unis et les deux découvrent que les retrouvailles ne sont pas toujours ce qu’ils avaient imaginé qu’elles seraient.

Il y a près de dix-huit mois, forcés par les circonstances, Paula et moi avons dû prendre des chemins divergents, sans en avoir vraiment la prémonition; les dés avaient été jetés, un peu à notre insu, et ils roulèrent bien plus longtemps que nous n’anticipions. Pour Paula, ce fut une mission en Jordanie de quelques mois, puis après l’été et ses semaines de vacances, une longue et plutôt pénible mission au Tchad (voir les épisodes précédents); pour moi, après l’hôpital, ce fut le long chemin de la convalescence, un chemin qui, croyais-je, serait court mais qui alla se perdre dans de longs et mystérieux détours.
La séparation se transforma en attente, puis l’attente se prolongea assez pour se métamorphoser progressivement en un statu quo vaguement irréel, un entre-deux moments qui s’étira tant qu’il finit par être sa propre histoire. Un récit caché.

Au mitan du lit…

Nous avons doucement perdu pied, sans le pressentir et nous sommes retrouvés dans une apesanteur marquée par de brèves retrouvailles, elles aussi en apesanteur, semble-t-il. Au fil des jours, notre matérialité s’est dissipée, et bientôt nous ne fûmes plus l’un pour l’autre qu’une image un peu floue sur un écran et une voix métallisée, et cet espace virtuel fit office de mitan du lit. Si vous m’aviez alors posé la question, je vous aurais assuré que notre relation n’avait pas changé, que tout était et que tout serait exactement comme autrefois dès la minute où nous nous retrouverions. C’est ce que les nomades appellent un mirage.
Paula est arrivée à Washington, et nous nous sommes retrouvés comme si de rien n’était, comme si cette séparation n’avait duré qu’un bref instant, quelques semaines tout au plus, ce dont nous avions bien l’habitude.

Paula est là. Je tourne la tête et je la vois et l’image n’est plus unidimensionnelle. Il y a des facettes qui se révèlent, que j’avais oubliées ou peut-être jamais vraiment bien perçues. Notre vie ne se résume plus à des entre-vues programmées – 14 heures et 19 heures ces derniers mois – notre vie est là tout le temps, du petit-déjeuner au coucher, perceptible au toucher, avec des rires et des incompréhensions, avec des moments de tendresse et de tension, avec des oublis et des découvertes, des attentes et des surprises. Bref, une vie de couple dont je m’aperçois que, en dépit de ce que j’avais imaginé, ou de ce que ma paresse m’avait empêché d’imaginer, je dois la retisser.
Les choses me paraissaient simples: Paula m’a rejoint aux États-Unis, nous avons fait ce voyage de nombreuses fois, je n’y vois rien de nouveau ni d’inhabituel. Mais Paula n’est pas simplement venue faire un tour sur les terres que j’habite depuis des décennies, elle vient pour se construire et nous construire, une nouvelle vie, une vie qui ne serait plus celle de deux nomades en vagabondage perpétuel, une vie avec un vrai mitan du lit. Elle part à l’aventure, et je suis rentré chez moi.
Les retrouvailles ne sont pas ce que j’avais paresseusement rêvé qu’elles seraient; le temps a passé, des repères ont été subtilement déplacés. Il nous faut les réinscrire sur notre Carte de Tendre pour que se dissipe le mirage.

Les retrouvailles, de Victoria Picini (victoriapicinipeintre.blogspot.com)

* La Carte de Tendre, plus connue sous son nom ultérieur de Carte du Tendre, est la carte d’un pays imaginaire appelé « Tendre » sur laquelle sont retracées les différentes étapes de la vie amoureuse telle que la concevaient les Précieuses du XVIIème siècle. On attribue à François Chauveau la gravure de cette carte figurant en illustration dans la première partie de Clélie, Histoire romaine, de Madeleine de Scudéry.

Tout Nomad’s land

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