Marco & Paula : Carnets d’ailleurs #14: Marco en galère somalienne…
Au petit bonheur des contrats de consultance internationale, Marco, expert patenté en pays déglingués, découvre les charmes de celle qui fut, il y a trop longtemps, la perle de l’Océan Indien.
“Je suis assis à mon bureau, dans la chambre que je ne quitte que rarement, dans une forteresse privée dont on ne peut sortir qu’en s’octroyant les services d’une escorte para-militaire (une voiture blindée, un 4×4 et huit hommes armés de mitraillettes) pour la modique somme de 1200 dollars la journée. Mais pour traverser la rue et aller dans le building en face, il ne me faut que 4 hommes armés, et il ne faut rien payer, ça fait partie du service, avec la cantine et la petite salle de gym au fond de la cour.
“Je pensais quitter hier ce lieu de villégiature idyllique mais on m’a demandé de rester quelques semaines de plus -je n’ai pas su refuser… et dans une réunion au Ministère cet après-midi j’ai entendu le numéro 3 expliquer au représentant de mon employeur qu’il voulait que je reste encore quelques années…”
Ça veut dire : encore quelques années en Somalie. Comme ils disent dans les bandes dessinées : Gloups ! Ou, chez Monsieur de Molière, « Mais qu’allait-il donc faire dans cette galère?«
La Somalie est l’une des perles d’un petit chapelet qui s’égrène : Sud Soudan, Afghanistan, Haiti, Libye, Iraq, Mali, Congo. La Syrie, elle, est son propre chapelet de bombes; n’y vont plus que des humanitaires dont les motivations me sont indéchiffrables. Tandis que sur mon petit chapelet, au bord de l’Océan Indien, on fait de l’humanitaire et aussi du développement. C’est pour cela que j’y suis. Et pour d’autres raisons évidemment fort pragmatiques et accidentelles.
La Somalie a mauvaise presse : quelqu’un a eu l’idée, l’an dernier, d’écrire un livre sur le pays, avec ce titre ravageur : “The World’s Most Dangerous Place.” Opinion qui semble être partagée par certains amis qui m’enjoignent d’en sortir – comme on sort d’un guêpier – ou à tout le moins d’y être fort prudent. Mais, paradoxalement, “faire du développement” en Somalie est de loin beaucoup plus frustrant que dangereux. Le système des Nations-Unies, qui y dépêchent des experts expatriés, a mis en place des règles draconiennes – voir plus haut – qui font qu’on y prend bien moins de risques que dans n’importe quelle ville d’Afrique. Statistiquement, je veux dire. Le dernier incident marquant s’est produit il y a quelques mois, quand un militaire qui se baignait s’est fait bouffer la jambe par un requin. Comme je ne me baigne pas, tout va bien.
Donc, je suis sur le terrain. Sauf que du terrain, je n’ai vu que deux avenues et quelques rues transversales, plus les immeubles qui pointent au dessus des murs du fort. Si je compte bien, je suis allé quatre fois au ministère – jamais pour plus d’une heure – et quatre fois au grand hôtel qui abrite les palabres des conseillers et autres éminences grises de la diaspora. Le reste du temps, bientôt trois mois, je l’ai passé dans ma casemate, assis à un petit bureau dans une chambre aux allures spartiates, relié au monde par internet. La plupart des experts internationaux sont logés dans la zone retranchée qui entoure l’aéroport, ce qui leur donne accès à un bar, à un vendeur de sodas et chips, à une salle de gym tombée aux mains de militaires italiens beaux gosses, et à une longue route de terre qui louvoie entre la piste d’atterrissage et la côte aux coraux tranchants. Mon fort, lui, est dans la ville. Mais je n’en sors pas. Ou si peu.
La Somalie, qui s’extirpe péniblement d’un engrenage de 25 ans de guerre civile, a à peine un gouvernement, reconstitué et revenu il y a un peu plus de deux ans dans sa capitale, Mogadiscio (il y eut, à partir de 2000, un gouvernement transitoire qui n’en pouvait mais). Tout cela tient debout avec les béquilles des armées envoyées par l’Union Africaine, les piliers des stratégies de reconstruction de l’État concoctées par des agences onusiennes, et les faibles soutènements des financements internationaux des coupables habituels. Dans un tel environnement, trouver des interlocuteurs légitimes et crédibles, des sources d’information à peu près fiables, et des relais bureaucratiques opérationnels pour monter un plan de développement organisationnel du Ministère du plan et de la coopération internationale relève du rêve de doux dingue. En décembre, lors de de mon premier séjour, j’ai dû attendre huit jours que mon interlocuteur rentre de Nairobi; en janvier, dito. Étant par ailleurs complètement coupé des staffs des grandes organisations, qui elles sont toutes agglutinées autour de l’aéroport, il était difficile de faire progresser le dossier.
Et puis, après quelques semaines d’attente, il s’est produit un petit miracle, et j’ai pu organiser un atelier de formation pour une demi-douzaine de personnes du ministère. Tous les matins, tous les sept venaient au pied du fort, la garde les contrôlait et les fouillait avant de les laisser entrer dans le petit fortin de l’autre coté de la rue. Et pendant 15 jours, j’ai pu sortir tous les matins de mon bunker et traverser le très étroit détroit que constitue la rue de sable séparant les deux bâtiments. Avec cinq ou six gardes armés déployés de part et d’autre de mon passage, comme pour tenir à distance la mer rouge ou noire des djihadistes qui rêvent de se mettre un expat blanc dans leur ligne de mire.
(à suivre ?)
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