Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #82: treize mois dans la brume

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Sans regret ni pincement au cœur, Paula s’apprête à quitter – enfin – la République (non!) Démocratique du Congo. Dans la fébrilité des dernières activités de fin de contrat et la lassitude d’un énième déménagement, elle récolte quelques dernières vignettes, mais rien qui fasse un souvenir sur lequel se retourner plus tard.

Contrairement aux requins politiques de Kinshasa, le gorille de l’Est (Gorilla beringei) est en « danger critique » d’extinction.

 

Selon une alerte lancée début septembre par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), braconnage, exploitation minière et pétrolière, et pression démographique le poussent vers la sortie. 5 000 individus sont encore en liberté surveillée dans des endroits protégés par des mécènes blancs, comme le parc de la Virunga dans le Kivu. J’aurais aimé passer les saluer mais les 500 dollars la journée, auxquels s’ajoutent transport et hébergement et deux ou trois petites taxes arrachées au passage, réservent cette rencontre aux passionnés ou aux nantis. Je ne suis ni l’une ni l’autre. Je les laisse donc dans leur brume.

 

Un des chauffeurs de taxi dont j’utilise fréquemment les services se plaint que ses affaires sont en berne, sa clientèle principalement expatriée s’étant raréfiée depuis le 19 septembre. Le chauffeur de mon organisation confirme en m’apprenant un matin que son cousin qui fait aussi le taxi, va partir dans le Bas-Congo, ça ne marche plus bien à Kinshasa. Il est vrai que ce matin-là, la circulation était anormalement fluide. Le soir même, pourtant, nous mettrons 90 minutes pour rentrer au lieu des 15 minutes habituelles. La tendance s’est inversée. En arrivant enfin devant le portail de la maison, je découvre qu’un camion s’est couché devant la porte et n’a pas l’air pressé d’en déguerpir. Contre toute attente, au matin, il est sagement rangé au bord du chemin. Je reste coite devant tant d’efficacité, mais il fallait sans doute en remercier le Ministre de la défense, requin politique dont « la femelle » du matin logeait au dessus de chez moi.

 

Chaque matin en route vers le bureau, je devais passer par une place chaotique, halte obligée des taxis et redoutée par tous les chauffeurs. Sur le  terre-plein sans beaucoup de charme sont plantés quelques réverbères. Il m’a fallu du temps pour remarquer que sur l’un d’entre eux, un p’tit malin avait ôté la douille, connecté des dominos et vendait des minutes de rechargement électrique aux passants et marchands de la place.

 

Recharger son téléphone est une vraie gageure dans les quartiers souvent privés d’électricité, et pensé-je in petto, récupérer du courant dans les quartiers bien dotés est une forme de redistribution intéressante.

 

Entendu à la radio, et qui m’a fait bien rire: l’avis de cet homme sur le port de la minijupe; il s’indigne que ce soit un vêtement occidental ne correspondant pas du tout aux usages de son pays – ce qui est exact à condition de préciser à quel milieu social congolais il se réfère. Et quand il évoque les traditions de son pays, je lui trouve soudain la mémoire courte ; ce sont bien les missionnaires occidentaux qui ont jeté un voile pudique sur « ce sein que je ne saurais voir », et ces cuisses et ces fesses qui s’exposaient benoîtement.

 

 

Changer de campement offre au nomade l’opportunité de reconsidérer l’utilité de chacune de ses petites possessions. Je devrais écrire l’utilité de chaque objet non pas dans son usage – un nomade a peu d’objets superflus – mais dans son histoire de vie (cette salière et poivrière offerte par un frère dilettante, je la prends ou je l’offre au chauffeur?) ou à l’aune de son porte-monnaie (acheter un fer à repasser me coûtera t-il plus ou moins cher que de le transporter?). Ça paraît simple à trancher sur le papier. Devant la malle, ça l’est beaucoup moins.

 

Partir, c’est également interrompre son travail, abandonner à d’autres le soin de poursuivre les projets, laisser même quelques ouvrages en plan. Je le fais sans trop d’état âmes car, pour reprendre les mots de Gide:  

[…] aller jusqu’à dire « que deviendraient sans nous les indigènes? » me paraît faire preuve d’un certain manque d’imagination. 

Voyage au Congo, André Gide, Carnets de route, 1927

 
 Tout Nomad’s land.



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