Comme un phoque sur sa banquise! Les carnets d’ailleurs de Marco et Paula #178
« Cré-moé, cré-moé pas »… « quéqu’part » en Arrageois, y’a un Marco qui s’ennuie en maudissant sa Paula partie gagner sa vie dans un cirque à N’Djaména.
Chan… … son… … d’a… …mou… …r
Sur l’écran de l’ordinateur, dans la fenêtre de Skype, apparaît Paula, radieuse et séduisante; on lui donnerait trente ans – c’est évidemment un artifice, l’image n’est pas très bonne et gomme – par délicatesse, peut-être – les rides que l’on pourrait voir si la connexion était meilleure. Je sais qu’il n’est pas de bon ton de parler des rides de nos compagnes, mais que diable! nous sommes des nomades burinés par le vent, le soleil et les intempéries.
Donc, non seulement cette connexion me présente une Paula rajeunie, mais en plus nous pouvons nous parler sans devoir renoncer à la vidéo et sans être interrompus par des coupures de réseau. C’est un bon jour, un jour de semaine, et Paula est au bureau, où la ligne est meilleure. Mais comme c’est un jour de semaine, elle n’a pas beaucoup de temps pour parler et la conversation se fait souvent alors qu’elle avale un déjeuner frugal et jette un coup d’œil hâtif sur ses emails.
Parfois nous arrivons à nous joindre en fin de journée, avant qu’elle ne quitte le bureau, mais comme ses horaires sont assez élastiques, je me retrouve parfois à patienter longtemps devant mon ordinateur que la petite lumière verte s’allume. Mais c’est la fin de la journée, Paula est fatiguée, a faim et ne veut pas traîner au bureau, et j’ai faim et l’heure du dîner est proche; notre conversation ne dure souvent pas longtemps.
Temps de paroles…
La soirée se prêterait évidemment mieux à une conversation plus intime que la journée avec les collègues de l’autre côté de la porte, mais la connexion internet dans la petite villa qu’habite Paula est beaucoup plus erratique et aléatoire qu’au bureau, et c’est un vraiment bon jour quand nous arrivons à nous parler le soir.
Pendant les weekends, quand nous aurions tout le temps de papoter, la conversation devient encore plus éphémère car la connexion internet a tendance à se dégrader encore un peu plus ces jours-là. Souvent, après un quart d’heure de bricolage qui nous donne l’impression d’être revenus à l’époque de Radio-Londres, nous renonçons et allons enterrer nos déceptions dans un livre ou un film, chacun sur notre continent.
Je suis arrivé à la conclusion – par induction – qu’à N’Djaména les posts du week-end étaient réservés au personnel le moins compétent du fournisseur d’internet. Mais cela ne change sans doute pas grand-chose: dans le tout récent classement du Forum économique mondial sur la compétitivité des économies, le Tchad est à la dernière place. Ce qui est logique, puisque le Tchad est aussi au tréfonds du classement de la Banque mondiale en termes d’indice du développement humain.
Maintenant, il ne faudrait pas jeter toutes les pierres aux Africains; il arrive dans l’Arrageois même, que la connexion internet balbutie, comme à ce moment précis: cela fait vingt minutes que j’essaie d’écouter une explication de sept minutes de l’économiste Michel Aglietta sur la disparition de l’inflation dans les économies développées*.
Mais je m’égare. L’autre soir la Complainte du phoque en Alaska de Beau dommage** m’est revenue en tête et depuis ne veut plus me quitter – “Ça ne vaut pas la peine / De laisser ceux qu’on aime / Pour aller faire tourner / Des ballons sur son nez“, vous vous souvenez ? – pourtant, je ne suis pas “un phoque qui s’ennuie en maudit / Sa blonde est partie gagner sa vie / Dans un cirque aux États-Unis“ – après tout, ma brune est seulement partie travailler au Tchad, où – j’espère – elle ne fait pas “tourner des ballons sur son nez“, et je peux lui parler presque tous les jours.
Il n’empêche – ma brune est tout de même partie, ça fait à peine un mois, et déjà je me languis comme un phoque sur sa banquise.
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