Musicàlier #05 À la découverte du redoutable « surdus arythmicus »
Ça commence comme ça. Un musicien imprudent lance du haut de la scène aux spectateurs qui lui font face le fameux : « Et l’on frappe dans les mains! » Il ignore alors, que parmi le public, se sont glissés des « surdus arythmicus », ces hooligans du rythme capables de détruire sa musique. Dès qu’ils se mettent à battre des mains, c’est déjà trop tard, la chanson est condamnée mourir.
C’est une redoutable espèce. Mais alors qu’elle est facile à observer en milieu naturel (salle de concert, discothèque…) on en parle rarement, tant l’animal est susceptible et son comportement mystérieux. Pourtant, les dégâts qu’il est capable de provoquer dans la musique sont terribles.
Caché parmi la foule, il est indétectable tant qu’il ne frappe pas des mains, ne nous y trompons pas, le surdus arythmicus est le pire prédateur du musicien. Ni le solfège ni le métronome ne peuvent en venir à bout. Son éradication est quasiment impossible. S’il y a tant d’interprètes et d’instrumentistes qui sont devenus neurasthéniques dépressifs ou drogués, pas de doute, c’est à cause de lui. A lui seul, ou presque, il a le pouvoir de foutre un morceau par terre, de déchiqueter une chanson, d’empêcher un interprète de s’y retrouver, ou une danseuse qui imprudemment lui fait face sur le dance floor de danser. Le surdus arythmicus en pleine activité, produit un bruit (son battement des mains) dévastateur et létal pour tout musicien et pour toute musique.
Le surdus arytmicus est persuadé que le bruit qu’il émet est de la musique. Il est aussi persuadé qu’il aide le musicien, alors qu’il l’étouffe et l’achève.
Avant d’avancer sur l’étude de ce cas épineux du surdus arythmicus, observons un mâle adulte en plein exercice de son arythmie; Le sang-froid du guitariste qui a deux pas de lui, essaye de maintenir son tempo, est tout simplement admirable.
D’aprés les valeureux spécialistes qui ont pu les observer, ces spécimens sont atteints de surdité rythmique et n’arrivent donc pas à synchroniser leurs mouvements et leurs gestes avec la musique qu’ils entendent, ce qui les rend si dangeureux. Le surdus arythmicus, comme tous les nuisibles n’est bien sûr pas responsable de sa terrible nature.
Je me demande parfois si en France, nous n’avons pas quelques-uns des plus beaux cheptels d’arythmiques. Alors que j’ai entendu souvent, en France, des salles entraînées vers le pire par quelques surdus arythmicus , des foules incapables de s’y retrouver dans une simple mesure à 4 temps, et je ne peux oublier ces publics cubains capables tenir une pulsation faite de contretemps complexes sans faillir, oublier les 9500 spectateurs des arènes de Jerez de la Frontera frapper des mains sur une mesure à 12/8, sans aucun battement déplacés, oublier les fidèles d’une cérémonie de Gospel à Memphis tenir le beat avec une précision et une obstination de machine. On dirait que ces pays n’ont pas encore été envahis par ces nuisibles. A moins qu’ils aient trouvé une manière de les contrôler, voire de les domestiquer? Quel serait le mode opératoire pour nous en débarrasser? Étudions cela.
Le rythme est un jeu d’enfants.
Et si à l’origine de cette prolifération dramatique, il y avait d’abord un problème d’éducation, un dysfonctionnement remontant, non pas à la jeunesse mais à l’enfance, non pas aux salles de classes mais aux cours de récréation de nos écoles ?
D’après le professeur Wolfgang Von Taub, de l’université de Mannheim, ainsi que le professeur Manuel Astifino, de La Havane, il existerait une solution pour se débarrasser de ces nuisibles, et cette solution se trouverait, tenez-vous bien, dans les cours de récréation de nos écoles maternelles et primaires. Ce serait là, et seulement, que le surdus arythmicus pourrait être rendu inoffensif avant de nuire. La théorie de ces savants est simple, mais serait parfaitement efficace. Le surdus arythmicus ne résisterait pas aux jeux rythmiques de l’enfance. Pris en bas âge, il pourrait même cesser d’être dangereux. Et si les surdus arythmicus étaient, dans nos contrées, devenus si nombreux, simplement parce que nous avons perdu l’habitude de jouer ainsi depuis longtemps? Et si le rythme était avant tout un jeu d’enfants?
L’arythmie, une vielle histoire de diable.
Mais les historiens marxistes, les chasseurs matérialistes et autres athées ont une autre explication à cette prolifération de surdus arythmicus en Occident. L’invasion serait selon eux beaucoup plus ancienne. Elle remonterait, à les en croire, au VIIème siècle. Mon dieu! L’homme qui leur ouvrit la porte s’appelait Grégoire. Il fut Pape et c’est lui et ses successeurs qui interdirent tout recours au rythme pour la musique des célébrations religieuses. Ce saint homme (selon ses fans) aurait été persuadé de la dangerosité du rythme dans les corps des fidèles. On ne peut lui donner tord. La puissance du rythme était selon le bon Grégoire, incontrôlable, (et donc diabolique) celle-ci ayant le pouvoir d’attirer les fidèles, vers d’autres intérêts plus charnels et physiques, que la séraphine mélodie.
En marquant de son corps la pulsation d’une musique, le fidèle aurait risqué de s’éloigner de la pure et chaste spiritualité. Le rythme fut donc prohibé de toutes les célébrations religieuses quelques siècles durant. Est-ce à ce moment-là que sont arrivés sous nos cieux les premiers troupeaux de surdus arythmicus? Est-ce la faute à Grégoire et à sa musique grégorienne, cette musique sans rythme ? Payons-nous encore en occident le prix de cet interdit ? Amen.
Quoi de plus jubilatoire, pour finir cette petite chronique, que ces deux gitans s’amusant à construire des rythmes toujours plus fous et complexes, pour le simple plaisir de jouer. Deux percussionistes « diaboliques ». Et si vous essayiez à votre tour de jouer? Il n’est peut-être pas encore trop tard?
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