De la rive gauche à la rive droite, une métaphore proustienne du voyage – mais pas de l’infidélité.
Déménager, Proust l’a bien dit, c’est comme partir en voyage.
Un rien nous émerveille, l’épicier ou le café du coin de la rue nous semblent aussi exotiques qu’un paquet de pâtes en Thaïlande, les toits qu’on aperçoit de sa fenêtre captent une lumière indéniablement plus brillante que dans notre vieux 13ème arrondissement, les bruits de l’immeuble semblent un peu assourdis, à moins qu’on ne soit encore trop excité pour les trouver insupportables.
Pourtant, on est juste passé rive droite, ce que Proust aurait difficilement pu désavouer puisque dans la Recherche, les mondanités du héros évoluent essentiellement entre la Madeleine et les Champs-Élysées. À la Belle Époque, le « faubourg Saint-Germain« , et le chic avec lui, ont d’ailleurs tendance à se déplacer rive droite, et la rive gauche se démode quelque peu. Quand Walpurge et Dorothée, les improbables cousines du duc de Guermantes, viennent lui annoncer la mort importune d’Osmond, le narrateur suppute que leurs mystérieux bâtons d’alpinistes s’expliquent sans doute par les rhumatismes que donne « l’humidité de la rive gauche et des vieux châteaux« .
Et quand la grand-tante du héros apprend que Swann habite quai d’Orléans, quartier qu’elle « trouvait infâmant d’habiter » (comme les choses changent!), elle ne ménage pas ses sarcasmes: « Eh bien! M. Swann, vous habitez toujours près de l’Entrepôt des vins, pour être sûr de ne pas manquer le train quand vous prenez le chemin de Lyon?« . Si elle connaissait le prix du mètre carré aujourd’hui sur l’île de la cité, elle en avalerait sa madeleine.
Bref, comme le faubourg Saint-Germain il y a un siècle, j’ai donc migré rive droite, avec bonheur. Je ne me sens pas en « exil » comme Françoise, la cuisinière de la Recherche qui se lamente, au début du Côté de Guermantes, d’un déménagement qui l’éloigne de ses chères habitudes, avant que de nouvelles affinités lui fassent jurer qu’elle ne retournerait pour rien au monde dans leur ancien appartement – ce que le narrateur juge caractéristique de « l’infidélité des femmes« .
Et quitte à vivre rive droite, autant tester une nouvelle bibliothèque nationale: parce que coup de chance, je suis à vingt minutes à pied de l’Arsenal, qui n’est pas un club de foot mais une magnifique bibliothèque située rue de Sully, juste à côté de la garde républicaine – voilà qui aurait plu à Charlus. Le bâtiment est magnifique, les bibliothécaires sont adorables et je trouve tous les volumes de la Pléiade dont j’ai besoin. Ceci dit, les tables sont trois fois plus petites qu’à la BNF de Tolbiac, je ne sais pas où placer mes livres pour ne pas gêner mes voisins, les vieilles chaises grincent au moindre mouvement un peu brusque et je n’ai aucun ami pour venir déjeuner avec moi dans le petit parc qui est en face.
Et puis en termes de critique littéraire sur Proust, on est loin des cinq bibliothèques de la BNF François Mitterrand.
En somme, pour travailler, je continuerai à traverser la Seine. Et à démentir le narrateur de la Recherche – les femmes aussi, parfois, peuvent être fidèles.
Pourtant, on est juste passé rive droite, ce que Proust aurait difficilement pu désavouer puisque dans la Recherche, les mondanités du héros évoluent essentiellement entre la Madeleine et les Champs-Élysées. À la Belle Époque, le « faubourg Saint-Germain« , et le chic avec lui, ont d’ailleurs tendance à se déplacer rive droite, et la rive gauche se démode quelque peu. Quand Walpurge et Dorothée, les improbables cousines du duc de Guermantes, viennent lui annoncer la mort importune d’Osmond, le narrateur suppute que leurs mystérieux bâtons d’alpinistes s’expliquent sans doute par les rhumatismes que donne « l’humidité de la rive gauche et des vieux châteaux« .
Et quand la grand-tante du héros apprend que Swann habite quai d’Orléans, quartier qu’elle « trouvait infâmant d’habiter » (comme les choses changent!), elle ne ménage pas ses sarcasmes: « Eh bien! M. Swann, vous habitez toujours près de l’Entrepôt des vins, pour être sûr de ne pas manquer le train quand vous prenez le chemin de Lyon?« . Si elle connaissait le prix du mètre carré aujourd’hui sur l’île de la cité, elle en avalerait sa madeleine.
Bref, comme le faubourg Saint-Germain il y a un siècle, j’ai donc migré rive droite, avec bonheur. Je ne me sens pas en « exil » comme Françoise, la cuisinière de la Recherche qui se lamente, au début du Côté de Guermantes, d’un déménagement qui l’éloigne de ses chères habitudes, avant que de nouvelles affinités lui fassent jurer qu’elle ne retournerait pour rien au monde dans leur ancien appartement – ce que le narrateur juge caractéristique de « l’infidélité des femmes« .
Et quitte à vivre rive droite, autant tester une nouvelle bibliothèque nationale: parce que coup de chance, je suis à vingt minutes à pied de l’Arsenal, qui n’est pas un club de foot mais une magnifique bibliothèque située rue de Sully, juste à côté de la garde républicaine – voilà qui aurait plu à Charlus. Le bâtiment est magnifique, les bibliothécaires sont adorables et je trouve tous les volumes de la Pléiade dont j’ai besoin. Ceci dit, les tables sont trois fois plus petites qu’à la BNF de Tolbiac, je ne sais pas où placer mes livres pour ne pas gêner mes voisins, les vieilles chaises grincent au moindre mouvement un peu brusque et je n’ai aucun ami pour venir déjeuner avec moi dans le petit parc qui est en face.
Et puis en termes de critique littéraire sur Proust, on est loin des cinq bibliothèques de la BNF François Mitterrand.
En somme, pour travailler, je continuerai à traverser la Seine. Et à démentir le narrateur de la Recherche – les femmes aussi, parfois, peuvent être fidèles.
A suivre.
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