Lettres ou ne pas être #86: Au-delà des montagnes
Attention chef d’œuvre! Au-delà des montagnes de Jia Zhang Ke, à voir absolument. Aussi beau qu’À la recherche du temps perdu, mais plus rapide.
En termes de beauté, j’en suis maintenant convaincue, il y a Proust et Jia Zhang Ke. Dans un registre très différent et sur grand écran, Au-delà des montagnes est un choc esthétique aussi durable qu’À la recherche du temps perdu.
J’avais vu et beaucoup aimé A touch of sin, le précédent film de Jia Zhang Ke sur la Chine corrompue d’aujourd’hui, mais je n’en avais retenu que quelques plans magnifiques.
Au-delà des montagnes est un chef d’œuvre total. Les trois volets – 1999, 2014, 2025 – donnent la conscience du temps écoulé, en montrant comment les destins des quatre personnages principaux sont implacablement dessinés par les logiques économiques et politiques de la Chine.
L’intrigue de départ est classiquement sentimentale: une femme pour deux hommes. Comme le répète Tao, l’héroïne, on ne sait s’il s’agit d’un problème de géométrie ou d’algèbre, avant de comprendre que le triangle amoureux ne peut échapper au rapport de force, bassement économique, entre les exploiteurs et les exploités. L’un des deux hommes incarne la Chine traditionnelle, celle des mines de charbon et de la lutte pour le travail, l’autre est un nouveau riche, propriétaire de la station-service et bientôt financier à Shangai, dont le seul dieu s’appelle Dollar.
On comprend assez vite que Tao n’a pas fait le bon choix, mais le véritable sujet du film se révèle être cette tension entre la tradition et la modernité. Son fils étudie à l’école internationale, avant de partir en Australie où il devra finalement réapprendre le chinois. Les écrans et la technologie de pointe lui ont tenu lieu de parents, et seules quelques madeleines ou une sonate de Vinteuil oubliées l’aident à ressusciter le passé, pour essayer de se reconstruire une identité éclatée. Car comment continuer à vivre, quand on s’appelle Dollar et qu’on a oublié le prénom de sa mère?
La musique traduit parfaitement cette opposition entre tradition et modernité. Aux airs ancestraux que Tao chante au début, accompagnée d’instruments traditionnels et de mouvements hiératiques, s’opposent les rythmes des boites de nuit qui déchaînent les corps et les passions. Le grain de l’image exprime lui aussi ce basculement dans la modernité, puisque Jia Zhang Ke a intégré de vieilles images, qui lui semblaient évoquer un monde aujourd’hui disparu, puis des séquences filmées par une caméra plus perfectionnée, l’Arriflex Alexa. Certains plans montrent bien la cohabitation de traditions immémoriales et de l’ultra-modernité, par exemple quand on découvre que l’enterrement du père de Tao, dans un petit temple qui pourrait dater de plusieurs siècles, se révèle placé au pied d’un gratte-ciel.
Et comme chez Proust, ce chef d’œuvre nous donne conscience que le temps a passé car on oublie les personnages du début, emportés par le cours de la vie. La beauté formelle de l’image, par exemple des plans enneigés, et la grande simplicité du scénario, sont sidérants.
Dommage que le 25 décembre soit passé, j’aurais pu demander le coffret de Jia Zhang Ke au père Noël!
J’avais vu et beaucoup aimé A touch of sin, le précédent film de Jia Zhang Ke sur la Chine corrompue d’aujourd’hui, mais je n’en avais retenu que quelques plans magnifiques.
Au-delà des montagnes est un chef d’œuvre total. Les trois volets – 1999, 2014, 2025 – donnent la conscience du temps écoulé, en montrant comment les destins des quatre personnages principaux sont implacablement dessinés par les logiques économiques et politiques de la Chine.
L’intrigue de départ est classiquement sentimentale: une femme pour deux hommes. Comme le répète Tao, l’héroïne, on ne sait s’il s’agit d’un problème de géométrie ou d’algèbre, avant de comprendre que le triangle amoureux ne peut échapper au rapport de force, bassement économique, entre les exploiteurs et les exploités. L’un des deux hommes incarne la Chine traditionnelle, celle des mines de charbon et de la lutte pour le travail, l’autre est un nouveau riche, propriétaire de la station-service et bientôt financier à Shangai, dont le seul dieu s’appelle Dollar.
On comprend assez vite que Tao n’a pas fait le bon choix, mais le véritable sujet du film se révèle être cette tension entre la tradition et la modernité. Son fils étudie à l’école internationale, avant de partir en Australie où il devra finalement réapprendre le chinois. Les écrans et la technologie de pointe lui ont tenu lieu de parents, et seules quelques madeleines ou une sonate de Vinteuil oubliées l’aident à ressusciter le passé, pour essayer de se reconstruire une identité éclatée. Car comment continuer à vivre, quand on s’appelle Dollar et qu’on a oublié le prénom de sa mère?
La musique traduit parfaitement cette opposition entre tradition et modernité. Aux airs ancestraux que Tao chante au début, accompagnée d’instruments traditionnels et de mouvements hiératiques, s’opposent les rythmes des boites de nuit qui déchaînent les corps et les passions. Le grain de l’image exprime lui aussi ce basculement dans la modernité, puisque Jia Zhang Ke a intégré de vieilles images, qui lui semblaient évoquer un monde aujourd’hui disparu, puis des séquences filmées par une caméra plus perfectionnée, l’Arriflex Alexa. Certains plans montrent bien la cohabitation de traditions immémoriales et de l’ultra-modernité, par exemple quand on découvre que l’enterrement du père de Tao, dans un petit temple qui pourrait dater de plusieurs siècles, se révèle placé au pied d’un gratte-ciel.
Et comme chez Proust, ce chef d’œuvre nous donne conscience que le temps a passé car on oublie les personnages du début, emportés par le cours de la vie. La beauté formelle de l’image, par exemple des plans enneigés, et la grande simplicité du scénario, sont sidérants.
Dommage que le 25 décembre soit passé, j’aurais pu demander le coffret de Jia Zhang Ke au père Noël!
A suivre.
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