« Aussi il ne faut pas redouter dans l’amour, comme dans la vie habituelle, que l’avenir, mais même le passé qui ne se réalise pour nous souvent qu’après l’avenir, et nous ne parlons pas seulement du passé que nous apprenons après coup, mais de celui que nous avons conservé depuis longtemps en nous et que tout d’un coup nous apprenons à lire. » (Marcel Proust, La Prisonnière)
Un autre avantage des rentrées, scolaires ou universitaires, c’est qu’on ne retrouve pas les mêmes visages que l’année précédente – ou pas seulement. Les profs ne changent évidemment pas, à l’exception des vacataires qui ont un taux de rotation assez élevé, mais l’essentiel de notre temps se passe devant des étudiants toujours renouvelés, qui pourraient nous donner l’impression d’une éternelle jeunesse. C’est l’un des seuls avantages de l’enseignement par rapport au monde de l’entreprise: on ne retrouve pas en septembre exactement les mêmes visages que l’année précédente.
Et de même que les saisons ne donnent pas toujours les mêmes fruits, et offrent d’une année sur l’autre des prunes délicieuses ou infectes, chaque rentrée est comme une récolte qu’on ne peut anticiper avant d’être allé voir soi-même l’état des fruits. L’an dernier, j’avais eu une petite moisson de skinheads négationnistes et de punks défoncés qui entraient dans l’amphi en roulant des mécaniques, le crâne à moitié rasé ou des crêtes aux formes improbables dressées sur la tête, comme si l’été avait vu fleurir une nouvelle espèce. Certains s’étaient révélés assez gentils et paumés, à peine surpris d’avoir 5 de moyenne, et je n’avais pas été mécontente de dire bon vent aux autres.
L’année d’avant, c’était des petites pimbêches qui m’avaient gonflée toute l’année, aussi revêches qu’une récolte mal arrosée ou qu’un OGM qui aurait mal tourné.
Et deux ans avant, les autres profs m’avaient prévenue: c’était l’année des fous. Chaque salle de cours comptait au moins deux ou trois étudiants très border-line, qu’il ne fallait surtout pas trop brusquer pour éviter un drame et des gros titres dans les journaux.
Cette année, mes deux premières semaines de cours se sont vraiment bien passées et, si surprenant que ça puisse paraître, je n’ai encore repéré aucun élément perturbateur ou désagréable. Les 65 élèves que j’ai pour l’instant dans mes deux premiers TD sont attentifs, souriants, et participent dès que je pose une question. À croire que 2015 sera la bonne année qui me donnera envie de rester prof? Au fond ça serait pas mal, puisque mon contrat doctoral se finit dans un an, donc il faudra que je décide à ce moment-là si je signe à nouveau pour un an à la fac, si je vais au lycée ou si je me reconvertis.
L’intérêt des rentrées, c’est que tous ces nouveaux visages sont comme autant de possibilités ouvertes sur l’avenir. L’un des TD que je donne s’adresse à des historiens, donc je demande à chaque étudiant de m’écrire un petit texte qui retrace brièvement son parcours scolaire et explique pourquoi il a choisi de s’inscrire en Licence 1 d’Histoire. Ces petits textes de présentation sont souvent assez émouvants, parce que certains étudiants semblent déjà désabusés, expliquant qu’après avoir accumulé les échecs depuis le collège, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils se retrouvent « dans une voie de garage« . Plusieurs étudiants ont par exemple tenté une PACES (Première année commune aux études de santé) et échoué, donc ils veulent se reconvertir dans l’enseignement. Un étudiant voulait devenir comédien « mais n’avait pas les moyens d’aller suivre le Cours Florent à Paris« , un autre vient de passer deux ans dans l’armée et veut obtenir une Licence pour réintégrer l’armée avec un grade plus élevé. La plupart des étudiants ont heureusement un réel intérêt pour l’histoire, m’écrivant des phrases assez belles (malgré les fautes d’orthographe) du type: « L’histoire, cette chose universelle et éternelle qui n’est pas pour mois une frise mais plutôt un empilement de toutes ses petites histoires ou un arbre de probabilité ou chaque choix trace le cours de l’histoire. Cette histoire-là, je veux l’écrire. »
J’écris chaque fois quelques mots d’encouragements dans les marges pour contrebalancer les corrections rageuses des fautes de français omniprésentes, et je reste scotchée par un élève qui conclut son texte de présentation par ce triste constat :
« Pourquoi une Licence 1 d’Histoire? Parce que quand on n’a pas d’avenir, on se tourne vers le passé« .
J’en ai presque les larmes aux yeux.
Et de même que les saisons ne donnent pas toujours les mêmes fruits, et offrent d’une année sur l’autre des prunes délicieuses ou infectes, chaque rentrée est comme une récolte qu’on ne peut anticiper avant d’être allé voir soi-même l’état des fruits. L’an dernier, j’avais eu une petite moisson de skinheads négationnistes et de punks défoncés qui entraient dans l’amphi en roulant des mécaniques, le crâne à moitié rasé ou des crêtes aux formes improbables dressées sur la tête, comme si l’été avait vu fleurir une nouvelle espèce. Certains s’étaient révélés assez gentils et paumés, à peine surpris d’avoir 5 de moyenne, et je n’avais pas été mécontente de dire bon vent aux autres.
L’année d’avant, c’était des petites pimbêches qui m’avaient gonflée toute l’année, aussi revêches qu’une récolte mal arrosée ou qu’un OGM qui aurait mal tourné.
Et deux ans avant, les autres profs m’avaient prévenue: c’était l’année des fous. Chaque salle de cours comptait au moins deux ou trois étudiants très border-line, qu’il ne fallait surtout pas trop brusquer pour éviter un drame et des gros titres dans les journaux.
Cette année, mes deux premières semaines de cours se sont vraiment bien passées et, si surprenant que ça puisse paraître, je n’ai encore repéré aucun élément perturbateur ou désagréable. Les 65 élèves que j’ai pour l’instant dans mes deux premiers TD sont attentifs, souriants, et participent dès que je pose une question. À croire que 2015 sera la bonne année qui me donnera envie de rester prof? Au fond ça serait pas mal, puisque mon contrat doctoral se finit dans un an, donc il faudra que je décide à ce moment-là si je signe à nouveau pour un an à la fac, si je vais au lycée ou si je me reconvertis.
L’intérêt des rentrées, c’est que tous ces nouveaux visages sont comme autant de possibilités ouvertes sur l’avenir. L’un des TD que je donne s’adresse à des historiens, donc je demande à chaque étudiant de m’écrire un petit texte qui retrace brièvement son parcours scolaire et explique pourquoi il a choisi de s’inscrire en Licence 1 d’Histoire. Ces petits textes de présentation sont souvent assez émouvants, parce que certains étudiants semblent déjà désabusés, expliquant qu’après avoir accumulé les échecs depuis le collège, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils se retrouvent « dans une voie de garage« . Plusieurs étudiants ont par exemple tenté une PACES (Première année commune aux études de santé) et échoué, donc ils veulent se reconvertir dans l’enseignement. Un étudiant voulait devenir comédien « mais n’avait pas les moyens d’aller suivre le Cours Florent à Paris« , un autre vient de passer deux ans dans l’armée et veut obtenir une Licence pour réintégrer l’armée avec un grade plus élevé. La plupart des étudiants ont heureusement un réel intérêt pour l’histoire, m’écrivant des phrases assez belles (malgré les fautes d’orthographe) du type: « L’histoire, cette chose universelle et éternelle qui n’est pas pour mois une frise mais plutôt un empilement de toutes ses petites histoires ou un arbre de probabilité ou chaque choix trace le cours de l’histoire. Cette histoire-là, je veux l’écrire. »
J’écris chaque fois quelques mots d’encouragements dans les marges pour contrebalancer les corrections rageuses des fautes de français omniprésentes, et je reste scotchée par un élève qui conclut son texte de présentation par ce triste constat :
« Pourquoi une Licence 1 d’Histoire? Parce que quand on n’a pas d’avenir, on se tourne vers le passé« .
J’en ai presque les larmes aux yeux.
A suivre.
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