Je suis une Kényane du 2 avril 2015, une Rwandaise Tutsie d’avril 1994, je suis une Palestinienne du camp de Yarmouk… Nous sommes tous des étudiants de Garissa, des minorités persécutées dans une consternation générale mais une impuissance honteuse.

Ce matin, je me suis réveillée à l’aube parce que la fin d’année approche et je voulais travailler à la fraîche avant le début des cours. Je n’avais pas très bien dormi à cause du stress et de l’adrénaline des partiels, mais c’est la dernière ligne droite avant les vacances et il faut que j’arrive dans les premiers à mon Master de langue et littérature anglaise pour postuler à un doctorat en littérature anglaise et qui sait, peut-être partir un an ou deux en Angleterre, dans une grande Université. On est très bien à Garissa, et j’ai de la chance d’avoir une chambre sur le campus principal, mais j’aimerais bien découvrir la campagne anglaise de Jane Austen ou étudier à Birmingham comme Sarah Kane –demain, il faudra que je pense à l’anniversaire de Jacob. Mon tuteur m’a dit que je devais commencer à réfléchir sérieusement à un sujet de thèse –Kane ou Austen? je n’arrive pas à me décider– mais le semestre n’est pas encore fini, je n’ai vraiment pas la tête à ça pour le moment. À chaque jour suffit sa peine, je m’en occuperai en mai.
 
À la bibliothèque, tous les ordinateurs étaient pris d’assaut donc j’étais bien contente de m’être levée tôt. Comme d’habitude, les scientifiques se pavanent – évidemment, c’est eux qui font la réputation de Mount Kenya University –et il y a un boucan pas croyable avec les révisions, tout le monde essaye de rattraper les cours qu’il a loupés et on s’interroge les uns les autres pour vérifier qu’on n’a rien oublié. Ce soir, j’irai nager pour mieux dormir –qu’est-ce que je vais bien pouvoir acheter comme cadeau à Jacob, j’appellerai Maman et Faith ce soir pour savoir si elles ont déjà une idée. Je me demande si Papa pourra assister à la cérémonie de remise des diplômes, en tous cas Maman m’a dit qu’elle emmènerait Jacob pour qu’il voie la fac, lui aussi viendra sans doute y étudier dans quelques années, il m’en parle déjà sans arrêt, il a tellement hâte.

 

Déjà le 2 avril demain, c’est fou comme ça passe vite, j’ai l’impression que c’était hier mon installation. Papa et Maman étaient venus tous les deux de Nairobi pour la cérémonie d’accueil des nouveaux étudiants, ils étaient tellement fiers de mon admission. Je suis sûre que Maman est allée allumer un cierge à l’église pour mes partiels, pas le temps d’aller à la chapelle pour moi on verra ça plus tard. Ce week-end il y a une fête sur le campus, j’irai avec Amos et Emma et j’espère que Milton sera là, mais il n’aura d’yeux que pour Miss MKU 2014 comme d’habitude –bon allez au boulot, je n’ai pas fait tous ces efforts pour rien. Dans quelques mois je serai diplômée et dans quelques années, qui sait, j’enseignerai peut-être la littérature anglaise en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis, et ma famille viendra me rendre visite. Allez hauts les cœurs, j’ai de la chance d’être là quand même.
 

*
 
Je ne suis pas Purity Kawira, Judith Chepkemoi ni Moses Njuguna. Je ne fais pas partie de tous ces étudiants chrétiens du Kenya ou d’ailleurs qui vont continuer à aller travailler avec la peur au ventre. Je ne peux qu’imaginer, par le détour de la fiction, ce que vit un étudiant exactement semblable à moi, en me sentant terriblement inutile et impuissante, à des milliers de kilomètres de Garissa.
A suivre.



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