« Le plagiat humain auquel il est le plus difficile d’échapper, pour les individus (et même pour les peuples qui persévèrent dans leurs fautes et vont les aggravant), c’est le plagiat de soi-même. » (Marcel Proust – Albertine disparue)
Palimpsestes.
Ce titre d’un grand classique de Gérard Genette m’avait longtemps semblé une énigme à élucider. Je connaissais le mot « palimpseste« , qui désigne un parchemin dont on a gratté la première inscription pour en tracer d’autres qui se superposent à elle sans la cacher complètement. Chez Genette, comme l’indique le sous-titre, ce terme permet de réfléchir à « la littérature au second degré« , c’est-à-dire à tous les phénomènes de « transtextualité » (avec quatre t) qui permettent de rattacher un texte A à un ou plusieurs textes B. À la recherche du temps perdu est par exemple un palimpseste car on peut y lire en transparence, en filigrane, le souvenir des Mille et Une Nuits, de Racine, de Baudelaire et de bien d’autres textes encore.
En matière de concepts, on peut difficilement faire mieux que Genette dans le premier chapitre de Palimpsestes : il nous énumère différents types de « relations transtextuelles » (avec trois t cette fois), intertextualité, architextualité, paratextualité etc… Histoire de nous montrer que la présence d’un texte B dans un texte A ne se limite pas à la citation, au plagiat ou au pastiche.
Comme je fais une thèse de littérature et pas de philo, il y a belle lurette que j’ai appris à me connaître : moi les concepts, c’est par l’exemple que je les comprends, littéraire si possible. Donc au bout de cinquante pages, j’ai déjà oublié la différence entre architextualité et métatextualité (lequel désigne le rapport du texte au genre littéraire déjà ?), mais je m’amuse comme une folle avec les exemples que donne Genette.
Il nous rappelle d’abord l’étymologie de « parodie« : ôdè désigne le chant et para veut dire à côté, le long de, donc faire une parodie consiste à chanter à côté, de manière souvent dissonante, dans un autre ton. Depuis les travestissements burlesques du XVIIème siècle jusqu’aux slogans publicitaires d’aujourd’hui, la parodie est partout. Il y a par exemple mille manières de transformer « La cigale et la fourmi« , qui était déjà issue d’une fable d’Ésope. Premier travestissement oulipien par Nadirpher :
En matière de concepts, on peut difficilement faire mieux que Genette dans le premier chapitre de Palimpsestes : il nous énumère différents types de « relations transtextuelles » (avec trois t cette fois), intertextualité, architextualité, paratextualité etc… Histoire de nous montrer que la présence d’un texte B dans un texte A ne se limite pas à la citation, au plagiat ou au pastiche.
Comme je fais une thèse de littérature et pas de philo, il y a belle lurette que j’ai appris à me connaître : moi les concepts, c’est par l’exemple que je les comprends, littéraire si possible. Donc au bout de cinquante pages, j’ai déjà oublié la différence entre architextualité et métatextualité (lequel désigne le rapport du texte au genre littéraire déjà ?), mais je m’amuse comme une folle avec les exemples que donne Genette.
Il nous rappelle d’abord l’étymologie de « parodie« : ôdè désigne le chant et para veut dire à côté, le long de, donc faire une parodie consiste à chanter à côté, de manière souvent dissonante, dans un autre ton. Depuis les travestissements burlesques du XVIIème siècle jusqu’aux slogans publicitaires d’aujourd’hui, la parodie est partout. Il y a par exemple mille manières de transformer « La cigale et la fourmi« , qui était déjà issue d’une fable d’Ésope. Premier travestissement oulipien par Nadirpher :
« La ciboule et la fourchette
La ciboule ayant chambré
Tout l’état-major
Se trouva fort dépotée
Quand la bique fut vénérée…«
La ciboule ayant chambré
Tout l’état-major
Se trouva fort dépotée
Quand la bique fut vénérée…«
La recette est très simple: ouvrez un dictionnaire et remplacez chaque mot par celui qui est situé n fois avant ou après lui. Queneau avait déjà joué le même jeu avec Nerval :
« Je suis le tensoriel, le vieux, l’inconsommé,
Le printemps d’Arabie à la tombe abonnie,
Ma simple étole est morte et mon lynx consterné
Pose le solen noué de la mélanénie.«
Le printemps d’Arabie à la tombe abonnie,
Ma simple étole est morte et mon lynx consterné
Pose le solen noué de la mélanénie.«
Pour revenir à La Fontaine, les parodies ne s’arrêtent pas là qui actualisent « La Cigale et la Fourmi » avec un goût et une efficacité comique plus ou moins marqués. Au XVIIème siècle, un certain La Fare donne des visages bien réels aux deux bestioles en nommant notamment la fille de Mme de Sévigné :
« La cigale ayant baisé
Tout l’été
Se trouva bien désolée
Quand Langeron l’eut quittée :
Pas le moindre pauvre amant
Pour soulager son tourment.
Elle alla crier famine
Chez la Grignan sa voisine…«
Tout l’été
Se trouva bien désolée
Quand Langeron l’eut quittée :
Pas le moindre pauvre amant
Pour soulager son tourment.
Elle alla crier famine
Chez la Grignan sa voisine…«
Et Genette cite Pierre Péchin qui oralise la fable, dans un goût qu’on peut trouver douteux, avec le parler populaire des jeunes ouvriers d’origine maghrébine en récrivant la chute: si la cigale crève de faim, la fourmi meurt aussi de suralimentation et d’épuisement en faisant un bel infractus (sic). D’où la mor(t)alité finale: « Ti bôff’, ti bôff’ pas, ti crèves quond même. »
Gérard Genette développe des dizaines d’autres exemples, par exemple la « Passion considérée comme course de côte » qu’Alfred Jarry publie dans le Canard sauvage en 1903. Le chemin de croix y devient une course cycliste, la Via Dolorosa une route à quatorze virages et la croix une bicyclette dont les pneus crèvent sur un semis d’épines. La parodie est souvent sacrilège, et c’est bien ce qui la rend jubilatoire.
J’en oublierai presque ma thèse, si Proust ne revenait comme à l’improviste, au détour d’une page, pour illustrer les infinies possibilités de la « littérature combinatoire« . Genette nous récrit plusieurs versions de la célèbre première version :
« version sportive: Longtemps je me suis douché de bonne heure; version nosographique: Longtemps je me suis mouché de bonne heure; version sexologique, et sans doute plus fidèlement autobiographique: Longtemps je me suis touché de bonne heure… »
Finalement, c’est pas si difficile de récrire la Recherche. Je devrais peut-être m’y mettre, plutôt que de continuer ma thèse, qui ne sera (si j’ai bien compris) qu’un enième exemple de « métatextualité » selon Genette (de commentaire critique). Cette fois c’est bon, j’ai enfin retenu l’a différence entre métatextualité et paratextualité. La métatextualité, c’est moi.
Gérard Genette développe des dizaines d’autres exemples, par exemple la « Passion considérée comme course de côte » qu’Alfred Jarry publie dans le Canard sauvage en 1903. Le chemin de croix y devient une course cycliste, la Via Dolorosa une route à quatorze virages et la croix une bicyclette dont les pneus crèvent sur un semis d’épines. La parodie est souvent sacrilège, et c’est bien ce qui la rend jubilatoire.
J’en oublierai presque ma thèse, si Proust ne revenait comme à l’improviste, au détour d’une page, pour illustrer les infinies possibilités de la « littérature combinatoire« . Genette nous récrit plusieurs versions de la célèbre première version :
« version sportive: Longtemps je me suis douché de bonne heure; version nosographique: Longtemps je me suis mouché de bonne heure; version sexologique, et sans doute plus fidèlement autobiographique: Longtemps je me suis touché de bonne heure… »
Finalement, c’est pas si difficile de récrire la Recherche. Je devrais peut-être m’y mettre, plutôt que de continuer ma thèse, qui ne sera (si j’ai bien compris) qu’un enième exemple de « métatextualité » selon Genette (de commentaire critique). Cette fois c’est bon, j’ai enfin retenu l’a différence entre métatextualité et paratextualité. La métatextualité, c’est moi.
À suivre.
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