« Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements » (Marcel Proust – « Sodome et Gomorrhe »)
Lever les yeux vers les immeubles haussmanniens et les décorations de Noël, regarder les vitrines illuminées des grands magasins et des boutiques de luxe, c’est fou comme ça change les idées. On écume la ville toute la journée, on remonte la rue du faubourg Saint-Honoré et on croise Natalia Vodianova devant l’Élysée, on s’arrête devant les petites cabanes du marché de Noël des Champs-Élysées, on achète des macarons chez Pierre Hermé et on les mange devant l’église de Saint-Sulpice… Avec tout ça, j’arriverais presque à oublier Proust et ma thèse.
Presque. Parce que visiter Paris en oubliant Proust, c’est aussi illusoire que se promener le soir dans une ville espagnole sans s’arrêter dans des bars à tapas. Je fais visiter la Madeleine à mon amie et je lui dis que Proust n’habitait pas très loin, boulevard Haussmann, et écrivait dans une chambre tapissée de liège. On arrive place de la Concorde et je pense au petit Marcel du roman dont le cœur battait chaque fois qu’il retrouvait Gilberte au jardin des Champs-Élysées, dont le cœur s’arrêta quand il comprit que les fêtes de fin d’années allaient le séparer pendant quelques semaines de la petite fille rousse à la peau dorée. Alors que je bifurque de l’avenue Gabriel vers le parc qui lui fait face, et tandis que mon amie regarde le drapeau de l’ambassade américaine, mes yeux se retrouvent comme magnétisés par une petite plaque: c’est l’allée Marcel Proust… Au fond juste une allée, je trouve ça un peu chiche pour l’auteur français le plus étudié au monde. Qui sait, peut-être qu’un jour, Marcel aura des Champs-Élysées à sa mesure ?
Le lendemain matin, on se promène entre Sèvres Babylone et Odéon et je montre à mon amie les beaux hôtels particuliers du faubourg Saint-Germain, dont le héros de la Recherche franchit les seuils avec l’espoir ardent d’être intégré par des duchesses transfigurées en fées tout droit sorties d’un autre temps, je regarde les pavés inégaux de ces cours sur lesquels il bute dans Le Temps retrouvé, et qui lui font prendre conscience que le temps a passé.
On remonte la rue de la Chaise en parlant des soldes de janvier, et je tombe soudain sur la devanture un brin désuète d’un salon de thé qui semble presque désaffecté et qui s’appelle tout simplement Elstir, le nom du peintre de la Recherche dont les marines bouleversent les perceptions visuelles et les goûts esthétiques du jeune héros en vacances à Balbec.
Décidément Proust est partout, il est temps que je me remette au travail. Quitte à penser à lui, autant que ce soit pour avancer ma thèse.
À suivre.
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