🏝 À l’abordage d’une nouvelle vie de gardiens d’Ăźle! #03

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Quand le suspense prend fin et que nous voilĂ  officiellement embauchĂ©s sur l’üle, les ennuis commencent pour ZoĂ©, paumĂ©e dans les affres de l’attente.

On est embauchĂ©s! C’est pas Ă©vident Ă  enregistrer comme information aprĂšs des semaines passĂ©es Ă  modĂ©rer mon enthousiasme. Si je m’étais trop projetĂ©e et que la rĂ©ponse avait Ă©tĂ© nĂ©gative, ça aurait Ă©tĂ© difficile de rebondir, de trouver une voie alternative capable de rivaliser. Je me suis lancĂ©e dans cette aventure sans rĂ©flĂ©chir: ne pas essayer de devenir gardiens de cette Ăźle alors que c’était Ă  portĂ©e de rĂ©alitĂ© Ă©tait inconcevable. Une telle opportunitĂ© ne se reprĂ©senterait pas, jusqu’alors je ne savais mĂȘme pas qu’il existait des Ăźles privĂ©es en France
 Donc on fonce, on postule, on passe un entretien, on Ă©crit une jolie lettre de motivation, on croise les doigts trĂšs fort. On ne peut s’empĂȘcher de se faire des films, Ă©videmment, mais ils sont toujours muets: c’est un projet qui nous dĂ©passe et bloque en bonne partie notre imagination, qu’est-ce que c’est, la vie en solitaire sur une petite Ăźle?

Vent de panique

Quand la nouvelle tombe, c’est un ouragan de questions sans rĂ©ponse qui m’envahit. Merde, comment on se prĂ©pare Ă  ça? Par quoi on commence? Qu’est-ce qu’il faut rĂ©gler avant de partir? Comment on part, qu’est-ce qu’on emmĂšne, qu’est-ce qu’on laisse Ă  Paris? Est-ce qu’on reste Ă  Paris? Pas au sens de finalement ne pas partir, mais on ne sait pas comment on va rĂ©agir Ă  cette vie sur l’üle et c’est une telle galĂšre de trouver un appart’ Ă  Paris, donc mieux vaudrait peut-ĂȘtre garder notre appart’. Je disais dans mon premier article que c’était l’enfermement qui me gĂȘnait dans le travail qui m’occupait Ă  Paris, ça peut donc paraĂźtre Ă©trange de dĂ©sirer se retirer sur une Ăźle, et ça l’est sans doute car je le crains cet enfermement, et cette crainte se rappelle doucement Ă  moi une fois la bonne nouvelle enregistrĂ©e. Merde, qu’est-ce que je fais? Une angoisse qui tord le ventre, le vide qui prend de la place, de plus en plus de place. Quelle connerie, je rĂ©flĂ©chis trop, je tourne en rond.

Montagnes russes

Entre le moment oĂč nous avons appris que la place de gardien sur l’üle se libĂ©rait et le moment oĂč nous y accostons pour nous y installer, il s’est passĂ© cinq mois. C’est long. C’est pour ça que je m’agite: attendre sans savoir vraiment dans quoi on se jette, sans pouvoir imaginer ce qui s’annonce, c’est une expĂ©rience nouvelle qui m’a fait traverser diffĂ©rents stades. D’abord l’euphorie, des plans sur la comĂšte par dizaines, des envies par milliers. Elles ne sont jamais parties mais ont laissĂ© de la place pour une sorte d’essoufflement. À force d’attendre, l’excitation tend Ă  se tarir, le feu se transforme en braises. J’ai ainsi dĂ©couvert que l’excitation, ça lasse. Presque tous ceux Ă  qui on parle de notre projet dĂ©bordent d’enthousiasme, au dĂ©but c’est gĂ©nial, on est si heureux Ă  l’idĂ©e de faire dĂ©couvrir le paradis terrestre -parce que l’üle est vraiment splendide- Ă  ceux qu’on aime. Mais assez vite, toute cette sollicitude me gĂȘne, suis-je bizarre?
Avec cette mise en veilleuse de l’excitation, il y a eu la montĂ©e de l’apprĂ©hension. Notamment parce que les choses sont devenues un peu plus tangibles grĂące Ă  de courts sĂ©jours de formation sur l’üle avec le prĂ©cĂ©dent gardien: prendre le bateau sur une mer « peu agitĂ©e » que je trouve dĂ©jĂ  trop remuante, manier la tronçonneuse et, plus compliquĂ© encore, la dĂ©monter, laisser la chaĂźne un peu molle mais pas trop, l’emplir d’un mĂ©lange d’huile et d’essence (pour lequel je n’ai toujours pas compris quelle huile ni quelle essence il fallait utiliser, et encore moins retenu la proportion d’huile pour essence Ă  respecter). Que c’est fastidieux l’usage d’une tronçonneuse! Moi qui croyais que c’était pour les brutes. En bref, on fait le tour de l’üle, en long en large et en travers, avec le gardien qui nous assomme d’informations Ă  retenir. Je suis, le nez sur mon petit cahier, les pieds buttant sur les racines des arbres, Ă  essayer de prendre des notes. Je n’y arrive pas, ça va trop vite, il y en a trop (des infos et des racines
), et avec ça, j’ai une mĂ©moire passoire. Merde
 le dĂ©but des apprĂ©hensions.
Ensuite c’est l’escalade, je grimpe toute seule lorgner sur le prĂ©cipice. Robin, lui, est serein. J’aimerais mieux qu’il soit comme moi, je pourrais au moins avoir la satisfaction de me dire que c’est normal, mais il est Ă  des kilomĂštres de mes doutes, et je nage, et je nage. Je me dis d’abord que la confusion vient de la tonne de choses Ă  faire avant de m’envoler. Je ne remets pas en cause l’üle, hors de question, impensable. C’est la complexitĂ© de l’organisation de ce dĂ©part que j’accuse. Parce que nous avons finalement dĂ©cidĂ© de vraiment partir de Paris: un loyer payĂ© dans le vide, ça fait mal au coeur, entre autres. Donc nous dĂ©mĂ©nageons, nous allons rĂ©ellement nous installer sur l’üle. Nous n’emmenons pas deux valises et une caisse de livres, nous prenons tout avec nous. Tous les trucs inutiles stockĂ©s Ă  droite et Ă  gauche, Ă©parpillĂ©s dans diffĂ©rents coins de France depuis des annĂ©es par manque de place Ă  Paris. C’est un dĂ©part qui signera aussi des retrouvailles avec des meubles, des livres, des « choses » que je n’ai pas vus depuis longtemps mais qui sont chargĂ©s de souvenirs. J’emmĂšne tous ces souvenirs dans un lieu oĂč je ne sais pas comment je vais me sentir. LĂ  encore, je me demande ce que je fabrique
 mais j’y vais.

Adieu vertige

Nous y sommes depuis deux semaines, le prĂ©cĂ©dent gardien nous a prĂ©venu contre le mois de fĂ©vrier, ses tempĂȘtes, le froid et l’humiditĂ© qui s’insinuent partout. La Bretagne nous accueille avec le soleil, la lumiĂšre scintille sur tout ce quoi s’attarde mon regard. Que j’aime son esprit de contradiction! Le vide se remplit tranquillement, ne serait-ce que de la foule de cases Ă  cocher sur la liste que nous a lĂ©guĂ© notre prĂ©dĂ©cesseur -une liste de plusieurs pages- avant l’arrivĂ©e prochaine du propriĂ©taire pour le passage de flambeau en bonne et due forme.
Si on pensait ĂȘtre peinards, ce sera pour plus tard!

â–ș Deux dans l’Ăźle: l’intĂ©grale

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