Comédie sociale (et familiale) toute en subtilités, « Toni Erdmann » est LE film de la rentrée. Il ne faut pas le manquer.
Toni Erdmann – Maren ADE (Allemagne) – 2h42
Inès a un drôle père. Au sens propre. Amateur du coussin-péteur, du faux dentier et autres farces et attrapes, c’est un rigolo. Mais si ses blagues lourdingues tombent souvent à plat, la philosophie de la vie de cet épicurien est autrement plus pertinente. Celle que, désormais retraité, il avait transmis à sa fille qu’il aime plus que lui: tout est possible, ne nous effrayons pas des obstacles. Dommage, elle en a fait un usage à l’inverse de son humanisme bonhomme: elle est devenue consultante d’une sale boîte d’audit à l’affût des gains de productivité de ses entreprises clientes, ce qui la plupart du temps se résume à la préparation de plans sociaux.
C’est à Bucarest que la jeune femme développe corps et âme sa cynique activité, mais c’est dans son originelle petite bourgade d’un nulle part allemand qu’on la découvre, en visite éclair auprès de ceux qui furent les siens qu’elle embrasse vite fait, l’oreille scotchée à son téléphone. Winfried, le père, s’en étonne, ne veut pas en souffrir, il a une autre idée en tête pour reconquérir sa fille, en tout cas tenter de lui bouger la tête. Il la retrouve à Bucarest, lui offre une râpe à fromage design pour son anniversaire, découvre son implacable univers professionnel et, entre quelques autres bouffonneries, lui demande benoîtement: « Es-tu heureuse? » La question la trouble, la bouleverse, mais Inès ne plie pas, ça n’est plus son genre.
Sans réponse, Winfried fait mine de repartir, faux départ. Il reste, pour mieux s’incruster dans la vie de sa fille. Il s’appelle désormais Toni Erdmann, qu’il se prétende ambassadeur d’Allemagne ou coach de Ion Tiriac (l’ancien joueur de tennis, aujourd’hui l’homme d’affaires le plus riche de Roumanie), il s’impose partout dans l’emploi du temps d’Inès qui choisit de ne pas révéler à son entourage qu’il n’est que son père. Gênée ou espérant ainsi s’en débarrasser au plus vite. Pas si simple, l’avatar paternel réapparait immanquablement là où elle l’attend le moins, elle n’a d’autre choix que de l’intégrer dans le jeu de sa vie. Elle semble ne pas se résoudre à ce dérangement, pourtant il fait effet. On le verra alors qu’elle convie ses collègues à une petite fête à domicile, dont on ne dira rien – ce serait gâcher – si ce n’est que la séquence est une formidable fantaisie et un pur moment de grand cinéma, quand précisément Inès arrête le sien.
Inexplicablement oublié à Cannes
Drôle, émouvante, pathétique, salutaire, une comédie sociale a rarement été aussi réussie. Elle pose la question de cet étrange rapport père-fille, faire différent comme pour prouver qu’on est pareils, mais tout a une fin, donc une faim personnelle.. Rabelaisien, il lui avait dit « Fais ce que voudras« , pourvu que tu restes en harmonie avec toi, c’est là que ça coince chez Inès. Belle femme, elle séduit, elle excite les hommes, mais cheveux tirés impeccables et tailleur-pantalon glacial, être comme un mec dans un monde mecs, féminisme = bullshit, elle s’impose une frigidité, sa seule débauche est pour son taf. La seule scène de sexe du film est salement stupéfiante.
En filigrane, sans démonstration, Toni Erdmann explore ce monde d’un libéralisme sans limites et sans scrupules, technique, froid, désincarné. Un beau gâchis pour cette belle Inès, pourtant si bien née…
Le film était en compétition lors du dernier festival de Cannes, il avait été plébiscité par le public et les journalistes de la Croisette, on reste pantois que le palmarès l’ait totalement ignoré. Il méritait une Palme, ce sera: rien. Pas de Prix de la mise en scène, limpide, inventive, maîtrisée de bout en bout. Pas davantage de Prix d’interprétation, ni pour une Sandra Hüller (Requiem – 2006 – Hans-Christian Schmid) franchement étonnante, elle donne tout, ni pour Peter Simonischek, acteur autrichien confirmé dans son pays que l’on découvre dans ce rôle de père clown-rédempteur. Pas même un Prix du scénario pourtant authentiquement original, à revers de ce qui avait été vu dans le genre jusqu’à présent, un bouquet d’imagination.
Ni sentence, ni angélisme, Maren Ade, la réalisatrice de Toni Erdmann est juste une femme de son temps, avisée et lucide, donc politique.
Drôle aussi.
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