« 120 battements par minute » de Robin Campillo: droit au cœur et… aux César 🎬
« 120 battements par minute » est l’un des plus beaux films de l’année, en tout cas le plus authentiquement bouleversant. Parce que Robin Campillo connaît bien son sujet et qu’il est un excellent cinéaste.
Début des années 90. L’épidémie du sida est installée, beaucoup de séropositifs ont développé la maladie, des traitements mal maîtrisés, des morts. Act-Up France s’est constitué depuis quelque temps sur le modèle original américain. Ses membres se réunissent chaque semaine, des « RH » (réunions hebdomadaires) qui ont des règles: les prises de paroles sont rigoureusement ordonnées, on n’applaudit pas pour ne pas couvrir le débat, on claque des doigts, et on ne hue pas on « ssss… » C’est lors des RH que sont prévues ou débriefées des actions visant à dénoncer le laxisme des autorités de l’État dans leur frilosité à organiser information et prévention, le cynisme du marketing des laboratoires pharmaceutiques, celui des assureurs qui refusent les contrats aux malades… Ainsi, on défilera devant les ministères, on interrompra des réunions officielles, on envahira les locaux des labos, on interviendra dans les lycées, les églises et on participera aux gay prides. L’activisme, spectaculaire, prend souvent une forme commando, avec sifflets, pancartes, slogans (« le sida tue« , « silence=mort« ), parfois des jets de faux sang.
C’est dans ce contexte de colère et de lutte que Nathan et Sean se rencontrent. Le premier est un nouvel adhérent, il est vite attiré par la radicalité des propos du second, par sa beauté aussi. Ils se plaisent, ils s’aiment et se battent, y compris dans le débat interne de l’association. Sean est malade, son état se dégrade, la tragédie, celle des malades du SIDA, alors quasi-systématiquement condamnés à mort, devient la sienne et celle son compagnon.
En larmes
Robin Campillo a connu Act-up de l’intérieur. De son film, il fait tout sauf un manifeste pro domo. S’il montre un combat, celui contre le désespoir, il ne se prive pas d’en montrer les ambiguïtés, les écarts, son dogmatisme parfois un peu naïf. Mais il fait beaucoup mieux: il donne du corps, de la chair, de l’intimité, de la mort à cette bataille contre l’indifférence et l’ignorance qui a les défauts de ses qualités, qui a pu braquer une partie de l’opinion, son égoïsme voire son homophobie, qui ne voulait pas savoir la réalité du fléau ou qui s’en foutait: maladie de pédés. « 120 battements par minute » n’est pas un documentaire, c’est une fiction documentée impeccablement maîtrisée par un cinéaste radical mais toujours pudique, savant metteur en scène sachant aussi construire de belles images signifiantes. S’il fictionne le réel, c’est pour le rendre plus réel encore, universel. On pleure, ce ne sont pas les larmes de Sissi, pas celles de Love Story, ce sont les nôtres, celles de nos vies quand elle se dérobent à notre entendement.
Le réel du SIDA c’est la mort qui s’annonce et la mort c’est évidemment bouleversant.
120 battements par minute – Robin CAMPILLO (France) – 2h22
Le film remporte 6 césars lors de la cérémonie 2018:
- Meilleur film
- Meilleur second rôle masculin: Antoine Reinartz
- Meilleur scénario original: Robin Campillo
- Meilleure musique originale: Arnaud Rebotini
- Meilleur montage: Romain Campillo
- Meilleur espoir masculin: Nahuel Pérez Biscayart
Celine Nieszawer
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