Épisode #13: la diversification et le saut d’obstacles…
« Diversifier sa production »: c’est le conseil le plus prodigué par les revues techniques, les conseillers de gestion, les discours officiels, et les consommateurs bobos (qui aiment bien donner leur avis technique aux agriculteurs). Je suis également convaincue que créer des passerelles avec d’autres activités est l’avenir des petites fermes comme la mienne…
Cher lecteur, je vous prie de m’excuser de ces constats si lugubres et m’engage à proposer la semaine prochaine une vision plus vivifiante de la ruralité!
Comme les contraintes rendent inventifs, j’ai dû réfléchir à une diversification. D’autant qu’une fois le troupeau occupé à brouter de l’herbe au printemps, les surveiller n’occupe pas une journée entière. J’ai écarté les possibles CDD d’hôtesse de caisse ou d’aide à domicile (les deux grands vecteurs d’emploi du coin) car avoir quitté un job parisien pour devenir caissière afin de financer un troupeau de moutons pas rentable… j’aurais eu l’impression d’une grosse plantade.
J’ai réfléchi à de nouvelles manières de valoriser ma viande, mais la contrainte principale est l’éloignement de l’abattoir. Parcourir 440 km pour vendre en direct un agneau, ça flingue un peu l’éthique locale du produit… et sa marge. Idem pour la transformation en merguez, caissettes de viande ou bocaux (on a fait des essais de terrine, mais après calcul du kilométrage entre les différents lieux de transformation, c’était absurde). Et l’investissement dans un véhicule frigorifique et une chambre froide sont disproportionnés par rapport aux marges que je peux espérer un jour réaliser.
Comme notre littoral draine quelques estivants, j’ai essayé d’organiser des visites, pieds nus dans les prés-salés. Les premières ont été annulées faute de public… Mais au bout de 3 ans, de joyeux groupes se constituent chaque semaine! La balade se termine par un goûter et s’est enrichie d’une expo bricolée dans une cabane en pierre. L’énergie apportée par tous ces joyeux vacanciers me nourrit pour traverser l’hiver. J’ai quand même dû m’engager auprès de l’État à ne pas piétiner le sol, et promis de changer d’itinéraire à chaque balade.
Boire du pisse-mémère? beurk!
… les boutiques-terroir fréquentées par des citadins fonctionnent assez bien. Cela m’incite à élargir la gamme et aménager un laboratoire « aux normes », qui nécessitera un nouvel emprunt financier… Mon labo n’est encore qu’en projet mais j’ai déjà reçu une menace de venir le contrôler de la part de la Chambre d’Artisanat et des Métiers (alors eux, ils ont des indics vraiment pointus). Doublée d’une injonction d’adhérer au diabolique RSI, parallèlement à mon statut agricole pour lequel je cotise déjà. Vive la liberté d’entreprendre?
La convivialité en prend aussi pour son grade, alors qu’une prairie se prête naturellement à accueillir des fêtes ou concert. Pas de débit d’alcool autorisé si on n’a pas passé de licence, pas le droit de recruter des bénévoles pour griller des merguez s’ils ne sont pas déclarés et assurés. La chaîne du froid est-elle respectée? Où sont les éviers sans-les-mains? Tout le monde porte des gants jetables? Les conditions sanitaires de préparation? On conseille pas d’œufs ni de produits laitiers crus car si une seule personne est malade, tout risque d’être passé au peigne fin (si on n’a pas eu de contrôle inopiné dans la soirée). La déclaration SACEM a-t-elle été payée? (même pour un gars qui joue de la gratte tout seul) Un petit feu de camp? Désormais totalement interdit (avant on pouvait, mais en brûlant seulement des branches d’un diamètre inférieur à 7 cm). On peut toujours tricher, mais les rebellions sont tellement bien écrasées (gel des primes, débarquement de contrôleurs issus de plusieurs administrations,…) que finalement on évite.
Autour du mouton, je me suis bien dit qu’il y avait la peau (historiquement utilisée par les moines pour les manuscrits du Mont St-Michel), mais il n’y a plus de tannerie en France et les abattoirs ne veulent pas rendre les peaux aux éleveurs.
Je comprends ainsi mieux le découragement ambiant dans le monde agricole, les dérapages maladroits car ces refus perpétuels rendent fou, et l’amenuisement du courage d’entreprendre.
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