Épisode #7: les coulisses du « Salon de l’Agriculture »
Durant ma vie parisienne, j’avais évidemment visité le Salon de l’Agriculture. J’y avais même découvert la race de moutons que je défends aujourd’hui: l’Avranchin. Je garde un souvenir plus étouffant du hall dédié aux produits régionaux. C’est pourtant là que j’ai passé une journée en tant qu’exposante. Une étrange expérience hors sol.
Alors, vous exposez au salon?
Ce Salon ne regroupe heureusement pas la totalité des producteurs du pays, et n’est pas un passage obligé. C’est un exercice de style dédié à la communication terroir ou à l’esprit concours. Et il faut disposer de temps et d’un budget pour s’y rendre.
Cette année, la stratégie régionale de la Normandie tout juste réunifiée consistait à offrir la place de stand aux producteurs, et à en inviter des tout neufs, qui ne sont pas dans le circuit habituel de produits labellisés « Gourmandie » ou « Manche Terroir ».
Je me suis sentie hautement flattée par l’appel de l’organisatrice m’expliquant que le Conseil Départemental avait suggéré mon nom pour représenter la Manche. Ils me proposaient de promouvoir ma gamme d’infusions aux plantes sauvages.
Ô gratitude de cette reconnaissance de mon travail, cette acceptation de ma légitimité agricole malgré ma « néoruralité ». Fierté d’être adoptée par le Département. Impression de faire partie du patrimoine! Envie d’accoler le logo normand sur tous mes outils de communication!
La réalité est sans doute moins allégorique, consistant à assurer sur le stand un brassage d’exposants souriants et contents d’être là. N’empêche que cette proposition m’a tellement galvanisée que j’ai couru voir mes copains producteurs de jambon fumé et de cidre pour que l’on s’y rende le même jour. Ils sont habitués non seulement à ce salon, mais à participer à de nombreuses foires et marchés du terroir. Ils savent évaluer les quantités de marchandise à amener, installer et démonter rapidement un stand accueillant, faire déguster, sont équipés de vitrines aux normes et de véhicules alimentaires en règles. C’est leur métier.
Dans ce domaine, je suis une amatrice, et pas prête de m’améliorer, car la vente directe n’est pas mon créneau porteur: mes produits plaisent aux citadins et aux estivants, mais peu à la clientèle locale. Quand je participe à un marché, j’arrive toujours en retard car j’ai les brebis à gérer avant, et mon fils avec moi. Et peut-être aussi parce que je suis mal organisée. Ma camionnette sert à transporter moutons, chiens, enfants et produits alimentaires, ce qui défie toutes les règles d’hygiène du genre. Et mon stand est une accumulation de tréteaux, meubles de brocante, service à thé, bois flotté, et même mon armoire de salle de bain… Une installation nécessitant deux déménageurs mais plaisamment bohème.
Les organisatrices avaient préalablement convié les producteurs à diverses réunions pour coordonner la logistique tentaculaire: les badges d’accès, les horaires de déchargement et de parking, la taille des étiquette de prix, la charte de bonne conduite pour jurer qu’on n’allait pas faire de coma éthylique sous le panneau « Normandie », etc. La Région avait défini une charte graphique de bon goût, noire et blanche, pour communiquer sur la Normandie réunifiée. Des accessoires étaient fournis aux exposants, et même des cartes de visite personnalisées. Nous avons été tellement chouchoutés que j’en ai ressenti un sentiment d’imposture, habituée à ce que les agriculteurs se fassent plutôt rabaisser par les institutions qui les supervisent.
La journée s’est passée étrangement, enfermés dans un hangar plein d’enseignes régionales bariolées, saturé de fumée de graillon, de choucroute et magret grillé. La circulation labyrinthique relevait d’un Ikea avec moquette multicolore et lino faux parquet. Au milieu d’une multitude de producteurs interchangeables, bien habillés pour exposer à la capitale ou déguisés de manière caricaturalement folklorique. Une ambiance de terroir hors-sol qui ne faisait pas tellement sourire, ni les exposants ni les visiteurs. J’ai ressenti peu de légèreté ou de gourmandise. Et j’ai surtout eu très envie de voir une plante verte, un bout de bois naturel ou le ciel.
Les visiteurs ne se rendaient d’ailleurs que sur le stand de la région qu’ils connaissaient. Nous avons ainsi eu la visite de tous nos voisins de la Manche! Ils n’ont pas effectué d’achat, mais partager un verre semblait cimenter ce lien entre normands exilés à Paris, même quand on ne se parle pas le reste de l’année. Remarque pour moi-même: toujours s’entourer d’un convivial producteur de cidre et d’une talentueuse productrice de charcuterie fumée! Installée entre eux deux, mes infusions manquaient d’ailleurs pas mal d’épicurisme (traduction: je n’en ai vendu aucune). J’avoue aussi que je préfère boire des verres de pommeau au milieu des allées en papotant que rester derrière un comptoir…
Ma grande découverte fut la couverture médiatique autour du salon… uniquement destinée à notre localité d’origine! Les producteurs ont été valorisés par des articles AVANT le salon, PENDANT le salon et APRES le salon, le suivi de la presse quotidienne régionale, et des sujets radio ou télévision. Étonnant paradoxe d’être identifiés positivement par les habitants qui n’achètent pourtant jamais nos produits mais sont fiers de dire:
Regardez, elle est de chez nous, et elle va au salon à Paris!
Le même genre de contradiction que tous ces producteurs laitiers qui fournissent un lait de qualité à des petites coopératives locales, mais achètent leur « camembert Président » à Lactalis, l’industriel géant qui les méprise et les ruine.
Être fier de nos producteurs quand on les voit à la télé ou qu’ils semblent adoubés à Paris, quelle chouette résonance territoriale! Mais pour que leur activité survive, il faut des actes concrets.
Formulé plus simplement: les encourager c’est bien, acheter leurs produits c’est mieux.
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