L’écrivain Néhémy Pierre-Dahomey, le metteur en scène Christian Schiaretti #545

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Une immédiateté complice entre l’écrivain et le metteur en scène: l’amour des mots et le questionnement sur leur usage, leurs auteurs ou la moiteur qui peut les relier. Chacun d’eux, par le roman ou la tragédie de Césaire explorent cette « folie douce » ou ces combats de coqs qui font de l’île une première République noire, un pays de misères et de gens debout: Belliqueuse ou Christophe…

Néhémy Pierre-Dahomey est né à Port-au-Prince en 1986. Son père était pasteur. Il vit aujourd’hui à Paris. « Rapatriés » est son premier roman.  Au delà de la qualité littéraire, du sens de la langue et de la musique lourde et à bas bruit d’une terre qui affleure à chaque page, l’auteur réussit en un texte à redonner beaucoup de ce qui fait cette île, la force ou les bassesses de son peuple, la tentation de l’exil la fragilité et le magnifique de ses femmes et de ses hommes, les enfants adoptés, la corruption et l’emprise des potentats, le vaudou, la bonne conscience des organisations humanitaires ou le chaos qui suit les catasptrophes naturelles. 

On vivait en communauté, en partageant la gaité et les difficulté. Mon enfance a été tissée de douceur, de rire et de tensions…. Les récits mythiques, les contes, les chants d’espérance et la poésie m’ont conduit vers la littérature. Homme je suis, mais j’aspire à être écrivain.

Néhémy Pierre-Dahomey. Livres Hebdo, 9 décembre 2016.

Néhémy Pierre-Dahomey. Livres Hebdo, 9 décembre 2016.

Belliqueuse Louissaint, jeune haïtienne au caractère intrépide, tente une traversée clandestine de la mer des Caraïbes pour rejoindre les États-Unis. Le voyage échoue. Elle y laisse un enfant. De retour sur le sol natal, elle est forcée de s’installer sur une terre désolée, réservée par l’état aux clandestins infortunés. L’endroit est baptisé Rapatriés. Les conditions de vie dans ce lotissement de boat people contraignent Belli à un choix déchirant : elle fait adopter ses deux filles, Bélial et Luciole.
Bélial vivra en France sous la tutelle de Pauline, une employée d’ONG qui voit en l’enfant une nouvelle raison de vivre. Quant à Luciole, elle disparaît dans les vastes confins de l’Amérique du Nord. Plus tard, l’une des deux jeunes filles reviendra en Haïti, mais quand se présentera le moment des retrouvailles, un ultime exil aura marqué leur mère.

Seuil, 2017.

Seuil, 2017.

Christian Schiaretti a le sens et le plaisir des mots, celui de la résistance et donc du politique. Son exigence et sa conception magistrale d’un théâtre sans concession offrent ici une version monumentale -avec une troupe élargie à trente sept comédiens dont certains venus du Burkina Fasso- de « La tragédie du roi Christophe » d’Aimé Césaire. Cette pièce essaye de cerner la figure du chef de la première république haïtienne et  pose les enjeux des premiers mois et des premières années de l’exercice du pouvoir. Ses dérives sont là, qui guettent et s’installent, balayant la naïveté ou le désir de répondre aux aspirations réelles ou fantasmées du peuple. La pièce écrite, quelques années après la grande vague de décolonisation des années 60, était également une occasion pour Césaire d’alerter sur les chausse-trappes qui menaçaient l’organisation politique du continent africain…

La Tragédie du roi Christophe 

de Aimé Césaire, mise en scène Christian Schiaretti 

jusqu’au 12 mars 

au Théâtre Les Gémeaux

Pièce maîtresse des tragédies de la décolonisation, elle affirme que le Politique est la force moderne du destin et l’Histoire la politique vécue. Le TNP ambitionne de réaliser, dans une même scénographie et avec le même groupe de comédiens et notamment le collectif burkinabé Béneeré, les trois tragédies de Césaire, dont celle-ci est le second volet. Le troisième, Une Tempête, en référence-hommage à Shakespeare, est inscrit dans nos projets d’avenir… Christian Schiaretti aime à préciser que Césaire « ne cherche pas à nous culpabiliser, mais à nous responsabiliser. »
La pièce s’ouvre sur un combat de coqs, réjouissance populaire haïtienne. Puisque les politiciens se querellent comme des coqs, le peuple s’amuse à les personnifier : l’un représente Alexandre Pétion, l’autre Henri Christophe. En 1806, ces deux hommes se disputent la succession du régime tyrannique de Dessalines. Christophe l’emporte. Le Sénat lui propose le titre de Président de la République et lui tend la nouvelle constitution. Christophe, qui la juge vidée de sa substance, la repousse et fonde un royaume au nord du pays. Pour redonner à Haïti son unité, ne vaut-il mieux pas qu’un seul homme incarne le pouvoir, gage absolu de sa stabilité, de sa fermeté et de son amour du peuple ? L’idée séduit et une cour se constitue aussitôt autour du nouveau roi. On verra comment l’homme qui a fait chuter le dictateur, une fois au pouvoir, commet des actes intransigeants.
Fable politique, cette pièce se penche sur un passé qui regorge d’échos à notre présent : comment ne pas reconnaitre, derrière ces hommes qui conservent les noms légués par leurs anciens despotes, les souffrances d’un monde encore malade ? Césaire entrechoque dans un même souffle l’échec d’un roi et le devenir d’un pays, les contradictions d’un homme et l’élan lyrique d’une dignité retrouvée.

TNP. Cyle Aimé Césaire

TNP. Cyle Aimé Césaire

Des mots de minuit L’Émission #545.

Réalisation: Pascal Bouvier

Rédaction en chef: Rémy Roche

Coordination: Marie-Odile Régnier

Édition:  Mame-Awa Nguer, Laura Chassagne

©desmotsdeminuit


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