Non, ce JDT ne sera pas sur un grand chef qui aime les légumes et les émissions de télévision, mais sur une conférence d’introduction à Proust, pour un « grand public cultivé ».
Entre autres pièges dans lesquels je me suis laissé prendre ces derniers temps, je peux quand même évoquer la « conférence sur Proust » que j’ai accepté de faire dans la bibliothèque municipale de la petite ville où j’ai passé toute mon adolescence.
Quand le bibliothécaire m’a proposé, j’étais plutôt contente et, pour être honnête, je pensais qu’une demi-journée me suffirait pour préparer une heure et demie d’introduction à Proust, pour du « grand public cultivé« . Je voyais ça comme un cours magistral dont seuls les étudiants seraient différents, simplement plus âgés et sans doute moins bavards. Et j’avais même prévu une petite introduction tire-larmes, où je m’attirerais la sympathie de l’assistance en évoquant mon émotion de revenir dans cette bibliothèque que j’avais tellement fréquentée, et pour cause puisque mes parents habitent encore juste à côté.
Cette conférence aurait donc pu être expédiée en moins de deux, si le bibliothécaire n’avait pas été particulièrement zélé et exigent. Alors que le côté biographique de Proust ne m’a jamais captivée, et ne m’intéresse quasiment pas pour ma thèse, il me demande de commencer par une présentation de « l’homme« , ce qui m’oblige à relire différentes biographies sur Proust, celles de Painter et de Tadié notamment, au cas où quelqu’un jugerait bon de me demander en quelle année Proust a fait sa première communion, lequel de ses grands-pères avait créé une manufacture de porcelaine ou son lien de parenté exact avec Bergson. Et comme il faut bien illustrer tout ça, je passe une demi-journée à préparer un powerpoint avec photos d’époque et extraits des adaptations d’À la recherche du temps perdu, sous la pression de ma mère qui me fait bien comprendre qu’au bout de vingt minutes, toute la salle dormira si je n’ai pas montré quelques photos de Cabourg et d’Auteuil.
Après les attentats, le bibliothécaire m’avait en plus écrit un long mail en me demandant si je pouvais consacrer une partie aux liens entre Proust et les grands faits divers de son temps, ce que j’avais traduit très librement par l’affaire Lemoine, qui inspire à Proust différents pastiches, l’Affaire Dreyfus qui traverse son œuvre et divise ses personnages, et la loi de séparation de l’Église et de l’État contre laquelle il s’insurge dans un article du Figaro. Sans parler de la Première Guerre mondiale mais ça, j’avais déjà prévu d’en parler. Sauf que simplifier tout ça en 1h30, tout en présentant, (quand même !!), l’intérêt de lire À la recherche du temps perdu, ça finit par relever de la gageüre, avec un tréma sur le u, toujours.
Usurpatrice?
Du coup, cette conférence qui aurait dû être le cadet de mes soucis devient comme la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Quinze jours avant le jour J, le bibliothécaire m’envoie l’affiche et un flyer qui indiquent, en dépit de tous mes précédents mails, que je suis « professeur à l’Université de R.« , alors qu’évidemment, j’ai pour l’instant le statut de doctorante contractuelle autrement moins glorieux. Je lui explique à nouveau que le titre de « professeur des Universités » s’acquiert quand on est déjà maître de conférences et seulement après avoir soutenu une Habilitation à Diriger des Recherches, ce qui n’est évidemment pas mon cas puisque « j’enseigne » à l’Université sans être pour autant « professeur à l’Université« , mais je vois l’incrédulité dans son regard et une légère inquiétude que j’interprète comme l’appréhension que ma conférence soit aussi embrouillée que mon explication.
Je me résigne donc au risque de passer pour une usurpatrice, et d’être confondue devant ma famille et tous les amis de mes parents, puisque je ne peux décemment pas lui demander de réimprimer affiches et flyers. Et deux jours avant la conférence, la pression monte quand il m’écrit qu’il est ravi puisqu’il y a déjà une centaine de réservations.
Évidemment, effrayée à l’idée que je puisse parler devant une salle vide – ce qui ne m’aurait pas dérangée du tout – ma mère a envoyé des mails personnalisés à ses amis et des textos que j’imagine plus ou moins menaçants aux membres de la famille susceptibles de constituer un public indulgent, si bien que mes grands-parents et un oncle viennent exprès de Paris.
Le jour J, fébrile et surexcitée, ma mère finit par me dire qu’elle est encore plus émue que le jour de mon mariage, tandis que mon mari essaye de camoufler son stress par une décontraction trompeuse et une consultation compulsive de ses mails. Quant à mon père, son mutisme me donne à penser qu’il prie, sans doute pour négocier avec la Providence qu’elle m’épargne une aphasie brutale quand le bibliothécaire me tendra le micro.
Alors avec toutes ces émotions, comme l’amphi est bondé d’un public aussi médusé que si je m’étais soudainement métamorphosée en Gorgone, et comme j’ai finalement préparé trois fois trop de contenu mais ne peux sabrer ce que le bibliothécaire m’a explicitement demandé de dire, j’en oublie le principal, présenter les personnages de la Recherche.
Finalement, mon grand-père aura le mot qui tue: « en somme, je n’ai jamais aimé Proust mais j’aimais ma petite-fille, et ça n’a pas tellement changé.«
Sur quelle partie de la phrase portait le « tellement« , c’est ce que j’ai préféré ne pas demander.
Cette conférence aurait donc pu être expédiée en moins de deux, si le bibliothécaire n’avait pas été particulièrement zélé et exigent. Alors que le côté biographique de Proust ne m’a jamais captivée, et ne m’intéresse quasiment pas pour ma thèse, il me demande de commencer par une présentation de « l’homme« , ce qui m’oblige à relire différentes biographies sur Proust, celles de Painter et de Tadié notamment, au cas où quelqu’un jugerait bon de me demander en quelle année Proust a fait sa première communion, lequel de ses grands-pères avait créé une manufacture de porcelaine ou son lien de parenté exact avec Bergson. Et comme il faut bien illustrer tout ça, je passe une demi-journée à préparer un powerpoint avec photos d’époque et extraits des adaptations d’À la recherche du temps perdu, sous la pression de ma mère qui me fait bien comprendre qu’au bout de vingt minutes, toute la salle dormira si je n’ai pas montré quelques photos de Cabourg et d’Auteuil.
Après les attentats, le bibliothécaire m’avait en plus écrit un long mail en me demandant si je pouvais consacrer une partie aux liens entre Proust et les grands faits divers de son temps, ce que j’avais traduit très librement par l’affaire Lemoine, qui inspire à Proust différents pastiches, l’Affaire Dreyfus qui traverse son œuvre et divise ses personnages, et la loi de séparation de l’Église et de l’État contre laquelle il s’insurge dans un article du Figaro. Sans parler de la Première Guerre mondiale mais ça, j’avais déjà prévu d’en parler. Sauf que simplifier tout ça en 1h30, tout en présentant, (quand même !!), l’intérêt de lire À la recherche du temps perdu, ça finit par relever de la gageüre, avec un tréma sur le u, toujours.
Usurpatrice?
Du coup, cette conférence qui aurait dû être le cadet de mes soucis devient comme la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf. Quinze jours avant le jour J, le bibliothécaire m’envoie l’affiche et un flyer qui indiquent, en dépit de tous mes précédents mails, que je suis « professeur à l’Université de R.« , alors qu’évidemment, j’ai pour l’instant le statut de doctorante contractuelle autrement moins glorieux. Je lui explique à nouveau que le titre de « professeur des Universités » s’acquiert quand on est déjà maître de conférences et seulement après avoir soutenu une Habilitation à Diriger des Recherches, ce qui n’est évidemment pas mon cas puisque « j’enseigne » à l’Université sans être pour autant « professeur à l’Université« , mais je vois l’incrédulité dans son regard et une légère inquiétude que j’interprète comme l’appréhension que ma conférence soit aussi embrouillée que mon explication.
Je me résigne donc au risque de passer pour une usurpatrice, et d’être confondue devant ma famille et tous les amis de mes parents, puisque je ne peux décemment pas lui demander de réimprimer affiches et flyers. Et deux jours avant la conférence, la pression monte quand il m’écrit qu’il est ravi puisqu’il y a déjà une centaine de réservations.
Évidemment, effrayée à l’idée que je puisse parler devant une salle vide – ce qui ne m’aurait pas dérangée du tout – ma mère a envoyé des mails personnalisés à ses amis et des textos que j’imagine plus ou moins menaçants aux membres de la famille susceptibles de constituer un public indulgent, si bien que mes grands-parents et un oncle viennent exprès de Paris.
Le jour J, fébrile et surexcitée, ma mère finit par me dire qu’elle est encore plus émue que le jour de mon mariage, tandis que mon mari essaye de camoufler son stress par une décontraction trompeuse et une consultation compulsive de ses mails. Quant à mon père, son mutisme me donne à penser qu’il prie, sans doute pour négocier avec la Providence qu’elle m’épargne une aphasie brutale quand le bibliothécaire me tendra le micro.
Alors avec toutes ces émotions, comme l’amphi est bondé d’un public aussi médusé que si je m’étais soudainement métamorphosée en Gorgone, et comme j’ai finalement préparé trois fois trop de contenu mais ne peux sabrer ce que le bibliothécaire m’a explicitement demandé de dire, j’en oublie le principal, présenter les personnages de la Recherche.
Finalement, mon grand-père aura le mot qui tue: « en somme, je n’ai jamais aimé Proust mais j’aimais ma petite-fille, et ça n’a pas tellement changé.«
Sur quelle partie de la phrase portait le « tellement« , c’est ce que j’ai préféré ne pas demander.
A suivre.
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