« Album de famille », froide comédie sociale turque 🎬

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Une comédie pour une histoire triste, prétexte au triste tableau d’une société congestionnée.

L’histoire triste, c’est celle d’un couple proche de la quarantaine et toujours pas l’enfant désiré. Dans le pays fondé par Atatürk qui vantait l’importance de la jeunesse, l’infertilité est une honte. Bahar et Cüneyt, on n’est pas du tout sûrs qu’ils s’aiment encore, mais ne pas pouvoir procréer c’est en effet pour eux d’abord une honte. Alors ils se décident d’adopter, mais pour ne pas avouer leur impuissance, ils inventent un album de famille, plutôt de maternité. Affublée d’un faux gros ventre, Bahar se fait photographier ici ou là pour montrer à qui voudra les voir, les photos d’une grossesse heureuse.
Les faussaires ne sont pas seulement ceux qu’on croit, le film est envahi de turqueurs, coquille de truqueurs. Cüneyt est prof d’histoire au lycée mais ses élèves font tout autre chose qu’écouter ses cours, Bahar est employée au centre des impôts mais tous ses collègues dorment affalés sur leurs bureaux. Surréalisme absurde au service d’une comédie vitriolée qui dénoncerait les tares d’un système à bout de course.
Un premier bébé, très brun, est proposé: refusé, « il est laid« , « on dirait un syrien ou un kurde« , déplorent, racistes ordinaires, les candidats à la normalité sociale. Le directeur de l’orphelinat en convient: il n’y a pas beaucoup de choix en magasin. Plus tard, ailleurs, une deuxième proposition sera la bonne: ils flashent et emportent. L’objet gazouillant ne changera rien à leur petite vie égoïste, ils la poursuivent à se goinfrer, à paraître, jouer aux dominos, fumer compulsivement (y compris dans la chambre du nouveau-né), le bébé n’était donc bien qu’un accessoire social. Pour preuve, lorsqu’ils découvriront que la mascarade parentale peut être connue de tout le monde, ils choisiront une solution extrême.

 

Si c’est une comédie, elle est froide, glaciale, clinique. La séquence d’ouverture en est emblématique dans la forme comme sur le fond. Un taureau est extrait de sa stalle d’une ferme industrielle pour une copulation virtuelle qui ne sert qu’à recueillir sa semence. Dans la forme c’est du cinéma au millimètre, le fond annonce un pamphlet sur la stérilisation d’une société, turque ici, mondiale peut-être. Car cette histoire d’infertilité déguisée en recherche de bonheur social n’est que prétexte à un passage en revue des tares d’une collectivité au bord du bug général. Administration, police, services sociaux, système de santé, tout y passe, à la moulinette: corruption, passe-droits, flicage, fichage, racisme. Evidemment on rigole quand le directeur d’un orphelinat joue au solitaire sur son ordi pendant l’entretien avec ces parents en quête d’adoption, moins quand un flic qui recueille un témoignage s’énerve surtout du trop grand nombre d’étrangers dans l’équipe nationale de foot.
Pour asseoir son pessimisme déprimé et paraboliser la vision qu’il a de son pays, le jeune réalisateur turc s’amuse à enchaîner des moments d’humour noir flirtant avec le nonsense. Les plans-séquences obligent à la vérité d’une mise en scène terriblement efficace. Pour autant, ce système exclusivement cinématographique, très plastique, prend paradoxalement le risque de vider le propos de sa substance, dans une apesanteur immobile.

Album de famille – Mehmet CAN MERTOGLU (Turquie) – 1h43

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