« Première nuit de noces. Mais première nuit de deuil? » (Roland Barthes, Journal de deuil)
Parce que ce deuil est au-delà de la logique, au-delà de l’identification à ces jeunes qui auraient pu être nous, et c’est bien le journal de notre deuil collectif que nous allons pouvoir écrire, comme Barthes après la mort de sa mère ou le héros d’À la recherche du temps perdu quand il perd sa grand-mère ou Albertine :
« […] je ne tenais pas seulement à souffrir, mais à respecter l’originalité de ma souffrance telle que je l’avais subie tout d’un coup sans le vouloir, et je voulais continuer à la subir, suivant ses lois à elle, à chaque fois que revenait cette contradiction si étrange de la survivance et du néant entrecroisés en moi. » (Proust)
« J’ai (hier) compris bien des choses: inimportance de ce qui m’agitait (installation, confort de l’appartement, bavardages et même parfois rires avec les amis, projets, etc.) » (Barthes)
« Toute ma vie à venir se trouvait arrachée de mon cœur. » (Proust)
« Suis ou déchiré ou mal à l’aise
et parfois des bouffées de vie » (Barthes)
« la sensibilité, même la plus physique, reçoit comme le sillon de la foudre, la signature originale et longtemps indélébile de l’événement nouveau. » (Proust)
« Maintenant, partout, dans la rue, au café, je vois chaque individu sous l’espèce du devant-mourir, inéluctablement, c’est-à-dire très exactement du mortel« . (Barthes)
« la douleur est un aussi puissant modificateur de la réalité que l’ivresse. » (Proust)
« Parfois bouffées de désirs […]; mais ce sont des désirs d’avant – comme anachroniques; ils viennent d’une autre rive, d’un autre pays, le pays d’avant. – Aujourd’hui, c’est un pays plat, morne – sans presque de points d’eau – et dérisoire. » (Barthes)
Ces réalités, « […] ma souffrance les avait immédiatement altérées en leur matière même, je ne les voyais pas dans la lumière qui éclaire les spectacles de la terre, c’était le fragment d’un autre monde, d’une planète inconnue et maudite, une vue de l’Enfer. » (Proust)
« Le chagrin comme une pierre…
(à mon cou,
au fond de moi) » (Barthes)
« Je sentais que je ne me la rappelais vraiment que par la douleur et j’aurais voulu que s’enfonçassent plus solidement encore en moi ces clous qui y rivaient sa mémoire. » (Proust)
« Je souffre de la peur de ce qui a eu lieu.
Cf. Winnicott : peur d’un effondrement qui a eu lieu. » (Barthes)
« C’est la vie qui, peu à peu, cas par cas, nous permet de remarquer que ce qui est le plus important pour notre cœur, ou pour notre esprit, ne nous est pas appris par le raisonnement mais par des puissances autres. » (Proust)
« altération progressive de la confiance en moi » (Barthes)
« Et pour chaque acte, même le plus minime, […] il me fallait chaque fois, à nouveaux frais, avec la même douleur, recommencer l’apprentissage de la séparation. » (Proust)
« On n’oublie pas,
mais quelque chose d’atone s’installe en vous. » (Barthes)
« … que cette mort ne me détruise pas complètement, veut dire que décidément je veux vivre éperdument, à la folie. » (Barthes).
De ce deuil collectif, comment faire sortir un sens de vie, une œuvre d’art, un avenir possible et vivable ?
Quels monuments construirons-nous en souvenir des victimes?
A suivre.
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