Notre Père qui êtes odieux et vous taisez! 2 romans et 1 quête de l’origine…
Soit un besoin des origines impossible à rassasier et deux jeunes romancières face à une idée: faire corps avec mon histoire. Elles se nomment Kaoutar Harchi et Minh Tran Huy et signent « A l’origine notre père obscur » et « Voyageur malgré lui »…
Un abîmé de la genèse…
La promesse est tenue chez celle qui écrivait en 2011 dans L’ampleur du saccage, son deuxième roman: « La quête des origines n’a rien de bon. » Publiée chez Actes Sud, A l’origine notre père obscur confirme qu’elle fait de la tragédie une forme de prédilection qui, dit-elle, la tient à distance de ses propres démons et que son écriture met remarquablement en scène. Au cœur de ce qu’elle questionne du rapport homme-femme: des êtres désirants mais inconsolables, inécoutés, assoiffés de grandir dans un environnement indéfini. Si le monde arabo-musulman y est référentiel, les situations sont symboliques et universelles quand le bas nylon, le chemisier et la jupe ajoutent une touche discordante de contemporanéité. Au delà du détail vestimentaire qui dément l’impression d’intemporalité, une souffrance communément partagée: « n’avoir ni mère, ni père auxquels faire payer tant de laideurs », ne trouver « aucun utérus, aucune verge » desquels se venger. Le chemin de soi, dans le remugle des inconscients, est ici hors de prix!
La pulsion du partir…
Minh Tran Huy essaye de se mettre au net dans un roman familial et lointain trop longtemps tu par un père, petit campagnard vietnamien qui « s’était mué » en ingénieur français et inscrit en partie sur une terre qui est « vôtre sans vraiment l’être ». « Au détour de mon enfance ressurgissait ainsi, parfois, celle de mon père, qui s’échappait de sa mémoire comme une rivière déborde de son lit. Ces occasions étaient rares; le mensonge par omission lui était plus familier. »
Voyageur malgré lui, publié chez Flammarion, est le récit de cette exhumation. Line -Line, Minh, le sens du son!- en est la narratrice. Elle chasse et enregistre les bruits, aimerait collectionner les qualités de silence et commence par trouver au hasard d’un musée new-yorkais quelques « voyageurs malgré eux »: Albert Dadas, le cas princeps du « tourisme pathologique » (départs impromptus, soif pulsionnelle d’ailleurs, bougeotte irrémédiable), un ancêtre de Forrest Gump, le dromomane. La somalienne Samia Yusuf Omar, championne olympique à Pékin en 2008, disparue quelques années plus tard, corps et âme, dans le naufrage d’un bateau de migrants en Méditerranée alors que « La terre avait pris les dimensions d’un village, mais uniquement pour ceux qui étaient en règle et en avaient les moyens ». L’essentiel de la quête de Line est dans le récit éclaté et à deux voix de l’histoire familiale -tragique et abîmée- qu’elle finit par obtenir de son père, taiseux obstiné jusqu’à ce que la mémoire commence à le quitter. Dans cette urgence à dire avant l’oubli et une subtile construction littéraire en entonnoir, c’est la déchirure d’un pays –le Viêtnam- qui apparaît sous la plume d’une romancière née en 1979 en région parisienne et dont l’enfance a joué dans « une grande maison de meulière ».
Les mots du père…
A la recherche de Line qui trouve un apaisement dans ce récit fragmenté –« maigre squelette de sa « vie d’avant »« – dans le livre de Minh Tran Huy, Kaoutar Harchi, née en 1987 à Strasbourg de parents marocains, oppose le funeste de vies empoisonnées par les secrets ou les impuissances à aller vers l’autre. Dans L’ampleur du saccage, il s’agissait d’inceste (« Les frontières s’effritaient et je peinais à distinguer le sexe duquel j’étais sorti du sexe dans lequel je rêvais d’entrer. Mais étais-je seulement encore son fils? ») et de la misère sexuelle de l’homme. « Je ne suis plus un homme mais un sexe nomade en quête d’un refuge humide. Un sexe obsédé par lui-même, malade sous la pression du manque, prêt à se casser, un sexe courbaturé, pris de vomissements mais qui ne peut vomir. Pourtant, je sais que je ne suis pas seul. Alignés le long des trottoirs, réunis à l’entrée des immeubles, les autres puceaux surveillent les filles comme des vigiles amoureux. »
Dans A l’origine notre père obscur, il est question de « l’emmurement » consenti dans une maison dont les portes restent ouvertes, de femmes rabaissées par le regard des pères et des maris, victimes d’un surmoi mâle et millénaire qui les condamne aux cauchemars du manque. Ceux qui naissent du poids de la tradition, des assignations du patriarcat et des textes sacrés. Des citations du Livre de la genèse servent d’ailleurs d’exergues. Dans cet enfermement, une jeune femme, jamais nommée, cherche à élucider le silence d’une « Mère » dont le « corps chaleureux, le corps accueillant, le corps du refuge, n’existe pas ». Et à compenser l’absence du « Père » et du « corps contraire ». Elle finira par le retrouver et éprouve alors « la sensation d’être tout entière dévorée par les membres de la tribu. Dévorée jusqu’à l’os. D’être ça, l’os des chiens. »
L’inconscient du destin…
Chez Minh Tran Huy, il s’agit de reconstituer les étapes du passé parce que « cette condamnation à errer sans jamais pouvoir s’arrêter, ni trouver le repos avait quelques chose d’infiniment triste. » Line finira par connaître les moments familiaux et le destin des membres de sa famille. « Femme et fils d’un ancien soldat, donc d’un traître à la patrie, Hoai et Thanh ont eu toutes les peines du monde à survivre dans un univers gangréné par la pauvreté, la corruption et les trafics, l’endoctrinement et la délation, où l’on surveillait jusqu’au bol de riz que vous aviez miraculeusement réussi à vous procurer… » Un cousin a été exécuté entre deux rangées de barbelés quand d’autres, « boat people », à la recherche d’une « Amérique doublement rêvée », ont disparu. Le roman familial ne protège de rien. Dans le commissariat de son quartier, la française Line devra argumenter pour prouver sa nationalité.
Chez Kaoutar Harchi, l’élucidation passe par les gouffres du psychisme. Elle vise un amour de soi qui donnerait enfin accès aux autres. « Il faut l’avoir ce courage de quitter le ventre éternel des mères dans lequel ils sont encore si nombreux, hommes et femmes, jeunes et vieux, à se retourner, à errer, à étouffer, dans l’exiguïté, dans le noir, dans le silence, effrayés à l’idée de sortir…pétrifiés à l’idée de devoir faire seuls l’expérience du monde. »
Kaoutar Harchi, A l’origine notre père obscur, Actes Sud.
Minh Tran Huy, Voyageur malgré lui, Flammarion.
©LeMagazineLittéraire
La critique Littéraire desmotsdeminuit.fr
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