« Si l’habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première dont elle n’a ni les cruautés, ni les enchantements » (Marcel Proust – « Sodome et Gomorrhe »)
Quand je ne suis pas à R., j’essaie d’oublier mes élèves et mes cours au moins trois jours par semaine pour me consacrer exclusivement à ma thèse. Si je ne m’y oblige pas, la préparation de mes cours (surtout de mon cours magistral) pourrait presque devenir une thèse en soi, et me prendrait tout mon temps.
C’était d’ailleurs le cas l’année dernière, au premier semestre : j’avais dû totalement concevoir ce cours sur « L’engagement et la littérature », ce qui m’occupait la plus grande partie de la semaine. Et c’était presque comme un loisir que je retrouvais ma thèse le week-end, avec l’impression que Proust ne me demandait rien d’autre que de le relire de temps à autre, comme un ami beaucoup moins exigeant que les 72 élèves de mon cours magistral.
Au deuxième semestre, comme je ne donnais plus cours, ma thèse était redevenue le cœur et l’obsession de mes journées, ce qui m’avait permis de donner un gros coup de collier en avançant des lectures de fond. De jour en jour, la BNF était devenue mon bureau préféré, et les visages impénétrables de mes élèves s’étaient vus éclipsés par les rayons tout aussi oppressants des innombrables pavés critiques consacrés à Proust, qui reste évidemment l’un des auteurs les plus étudiés au monde.
Cette année, j’ai décidé de ne pas me faire avoir par mes cours et d’avancer ma thèse dès le premier semestre. Le temps passe vite, et je suis déjà en deuxième année, sur mes trois ans de contrat doctoral. Or je sais bien qu’après ces trois années, tout va s’accélérer: j’aurai alors le choix entre le lycée ou un contrat d’ATER, qui permet de rester à la fac mais consiste à donner trois fois plus de cours qu’avec un contrat doctoral, pour le même salaire. Inutile de faire un dessin : si on n’a pas avancé sa thèse le plus possible pendant son contrat doctoral, on se prépare des années difficiles.
Donc depuis septembre, je me bloque trois jours par semaine où je m’interdis de penser à mes cours, aux textes que j’aurais pu ou dû relire pour parler de Ronsard et d’un siècle que je maîtrise mal, aux potentielles questions auxquelles je ne saurais peut-être pas répondre.
Mon objectif est simple, cap sur la thèse, et mollo sur mes cours. Entre l’enseignement et la recherche, c’est l’éternel dilemme des profs de fac: il faut parfois mettre un bémol à sa bonne conscience de prof, d’autant que le perfectionnisme n’est pas toujours le meilleur allié de la pédagogie.
Donc dès que je suis revenue à Paris après mes deux jours à R., je m’impose une amnésie totale pendant trois jours : non je ne suis pas prof, je n’ai pas de cours à préparer pour la semaine prochaine, je suis une thésarde qui a déjà commencé sa deuxième année et qui doit avancer beaucoup plus vite que l’an dernier.
Fin mars je veux avoir un plan, et commencer à rédiger quelques premiers chapitres quand viendra le printemps.
À suivre.
Tous les vendredis, Le journal d’une thésarde, voir l’intégrale.
C’était d’ailleurs le cas l’année dernière, au premier semestre : j’avais dû totalement concevoir ce cours sur « L’engagement et la littérature », ce qui m’occupait la plus grande partie de la semaine. Et c’était presque comme un loisir que je retrouvais ma thèse le week-end, avec l’impression que Proust ne me demandait rien d’autre que de le relire de temps à autre, comme un ami beaucoup moins exigeant que les 72 élèves de mon cours magistral.
Au deuxième semestre, comme je ne donnais plus cours, ma thèse était redevenue le cœur et l’obsession de mes journées, ce qui m’avait permis de donner un gros coup de collier en avançant des lectures de fond. De jour en jour, la BNF était devenue mon bureau préféré, et les visages impénétrables de mes élèves s’étaient vus éclipsés par les rayons tout aussi oppressants des innombrables pavés critiques consacrés à Proust, qui reste évidemment l’un des auteurs les plus étudiés au monde.
Cette année, j’ai décidé de ne pas me faire avoir par mes cours et d’avancer ma thèse dès le premier semestre. Le temps passe vite, et je suis déjà en deuxième année, sur mes trois ans de contrat doctoral. Or je sais bien qu’après ces trois années, tout va s’accélérer: j’aurai alors le choix entre le lycée ou un contrat d’ATER, qui permet de rester à la fac mais consiste à donner trois fois plus de cours qu’avec un contrat doctoral, pour le même salaire. Inutile de faire un dessin : si on n’a pas avancé sa thèse le plus possible pendant son contrat doctoral, on se prépare des années difficiles.
Donc depuis septembre, je me bloque trois jours par semaine où je m’interdis de penser à mes cours, aux textes que j’aurais pu ou dû relire pour parler de Ronsard et d’un siècle que je maîtrise mal, aux potentielles questions auxquelles je ne saurais peut-être pas répondre.
Mon objectif est simple, cap sur la thèse, et mollo sur mes cours. Entre l’enseignement et la recherche, c’est l’éternel dilemme des profs de fac: il faut parfois mettre un bémol à sa bonne conscience de prof, d’autant que le perfectionnisme n’est pas toujours le meilleur allié de la pédagogie.
Donc dès que je suis revenue à Paris après mes deux jours à R., je m’impose une amnésie totale pendant trois jours : non je ne suis pas prof, je n’ai pas de cours à préparer pour la semaine prochaine, je suis une thésarde qui a déjà commencé sa deuxième année et qui doit avancer beaucoup plus vite que l’an dernier.
Fin mars je veux avoir un plan, et commencer à rédiger quelques premiers chapitres quand viendra le printemps.
À suivre.
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