Athina explore la région de Maramureş au Nord de la Roumanie avec joie. C’est en partant à la découverte des villages typiques qu’elle rencontrera un nomade solitaire qui comme elle se cherche à sa façon…
Voyager, c’est aussi vivre ses premières désillusions
Je passe tout mon lundi après midi dans le train de Cluj Napoca pour Baia Mare. Quatre heures s’écoulent lentement et j’ai du mal à rester tranquille sur ma chaise. Quand le corps est en arrêt, la tête à tendance à s’agiter. Trop de questions surviennent en même temps: où vais je bien pouvoir dormir ce soir? est la première, question de survie. Puis comment vais je rentrer en contact avec les tsiganes?, question thématique qui me turlupine. Et quand je regarde que je n’ai que mes jambes pour compagnes de route, la troisième interrogation vient frapper un dernier coup ma boussole: par quel moyen vais-je explorer la campagne, connue pour sa culture musicale forte?, question logistique. Je n’arrive plus à y voir clair. J’ai devant moi un brouillard épais, et la fatigue du voyage vient s’y ajouter. Être en perpétuelle recherche demande beaucoup d’énergie, tu t’en doutes. Parler avec tout musicien.nne croisé(e) sur ma route, mais aussi répondre à qui me demande “Qu’est ce que tu fais en Roumanie, toi la Parisienne?”. Je t’assures, ça en intrigue plus d’un! Enclencher des premiers pas qui parfois sont stoppés en cours de route par le monde qui m’entoure, tout ça fait parti du voyage. Petit à petit, je réalise que je me suis mise dans un sacré pétrin! Tous les jours, il faut que je défende mon bout de gras, que je m’affirme, que je garde le cap et surtout que jamais l’espoir ne me quitte.
Ah c’est la vie quoi ! Oui, avec encore plus de saveurs !
Partir sur la voix des Balkans? On m’avait pourtant avertie: fais très attention (oui, ça va je sais), t’as des contacts là-bas ? (Non) Tu connais des musiciens? (Un seul), c’est immense, tu vas t’y perdre! Et puis les tsiganes, laisse tomber c’est pas le même monde… Seulement quinze jours se sont écoulés depuis mon départ et je dois me l’avouer: pour bien faire, je pourrais rester juste quatre mois rien qu’en Roumanie. Oui, il y a beaucoup à faire et surtout chercher et trouver ne se fait pas en cinq minutes… Dans mon carnet, j’écris que peut être la vie va me mettre sur la route de quelqu’un pour m’aider dans ma quête. La belle histoire!
Première soirée à Baia Mare avec mon hôte: Flori
Je referme mon cahier, envoie quelques messages sur l’application couchsurfing et ce n’est qu’en arrivant à 18h30 à la gare que je peux lire la réponse de Flori. Elle me confirme ma demande, ouf! Soulagement. Coup de téléphone, je prends un taxi et quelques minutes plus tard, je suis attablée avec Flori et son amie Ioana dans un restaurant italien. On fait connaissance autour d’une soupe, pizza et limonade à la framboise; en trois mots je sympathise avec cette femme d’une cinquantaine d’années, avocate. Pour la première fois, on ne me regarde pas de travers quand j’explique ma passion pour la musique tsigane. Au contraire, Flori m’encourage et écrit à ses amis pour avoir des infos. Après un passage éclair chez elle pour y déposer mon attirail, nous partons dans le vieux centre au Butoiaşu cu bere (le petit tonneau de bière). Ici, quelques musiciens tsiganes jouent tous les soirs sur la terrasse. L’accordéoniste, deux violonistes et un contrebassiste jouent des chansons populaires roumaines que tout le monde connaît. Ils vont de table en table et quand arrive mon tour, je leur demande de jouer un morceau tsigane. Apparemment ce n’est pas la bienvenue, ici. Ils sont là pour jouer uniquement le folklore roumain et régional. À un moment, un gars qui joue du naï, flûte de pan roumaine se joint au groupe pour quelques chansons typiques de la région de Maramureş.
Tout le monde chante et Flori reconnaît Mocirița ci trei foi et Barca pe valuri dans le répertoire.
Se mettre sur son trente-et-un le jour et dormir par terre la nuit
Le lendemain, Flori me prépare un petit déjeuner digne d’un hôtel 4 étoiles, il ne manque rien sur la table ! Bien requinquées,on part en direction du musée ethnographique et des arts populaires de la ville qui est sur deux sites. Mais avant, on se laisse happer par une vitrine d’une boutique aux couleurs chatoyantes sur notre route… Y en a pas une pour rattraper l’autre ! Après plusieurs essayages, nous sortons de la boutique avec la même robe de “paysanne”, Flori en jaune et moi en rouge ! Petit craquage du jour, bonjour ! On entre dans le musée en plein air qui présente les maisons paysannes, comme à Cluj Napoca, dans un parc où il n’y pas pas ou peu d’ombres. 35 degrés ou plus, on a chaud sous notre robe en polyamide. On entre au frais dans chaque maison avec plaisir et curiosité “c’est chez qui ici ?” C’est parti pour une séance photo dans ce décor sommaire mais tellement charmant. On s’amuse comme deux gamines avec nos robes fleuries. Flori doit filer chez elle, et me laisse finir seule la deuxième partie du musée qui donne à voir les costumes du début du XXe siècle et objets d’artisanat dans un grand bâtiment. Très belles pièces et série de photos exposés sur les murs mettant en évidence la beauté des couples et familles dans leurs costumes du dimanche.
Déjeuner en décalé vers 17h comme souvent depuis le début du voyage. Flori est en train de déménager son clic clac qui était mon “couch” la nuit passée. Elle veut se faire une vraie chambre avec un grand lit car pour le moment elle dort dans le lit de sa fille (qui a mon âge) dans la petite chambre. Sa fille est partie vivre à Bruxelles depuis plusieurs années et je sens en Flori une grande solitude. Ce soir je dormirai à même le sol, Flori me proposera bien le canapé du salon, mais je préfère largement rester au milieu de la pile de paperasse de l’office du tourisme et de mes vêtements étalés sur le plancher. Et tu sais quoi ? Ce sera une des meilleures nuit depuis un bon moment!
Rencontrer la Roumanie champêtre et quelques touristes égarés
J’ai décidé d’aller voir de plus près les fameux villages pittoresques, et pour ça, je dois prendre un minibus en direction de Piatra-Neamț. Flori m’accompagne à la gare routière et me fait des coucous jusqu’à notre départ.
Je descends du bus à Budeşti, marche jusqu’au “centre” avec ma petite valise contenant mon kit de survie pour quelques jours. Je dois me rendre à l’évidence : je ne connais personne et il n’y a rien de rien dans ce village à part deux épiceries.
Et maintenant, que vais je faire ? comme dit la chanson.
Flori m’avait parlé d’un village plus touristique non loin dénommé Breb. Je tends le pouce et je me fais emmener avec comme bande son des chansons populaires interprétées par Ancuta Timis, Andrada Bârsăuan, et Bogdan Gavriş. Je fais le tour du village à la recherche d’une pensione ou chambre chez l’habitant. Penny, qui s’occupe de la location de chambres d’un site magnifique mais pris d’assaut par des touristes principalement britanniques passe un coup de téléphone à Ramona. Cette dernière gère une pensione à l’autre bout du village. Elle a une chambre pour moi ! Après une bonne marche sur le chemin de terre cabossé, j’arrive enfin à la Casuta Bunicilor (la maison des grands mères). Plusieurs maisons et sa cour où tout le monde vaque à son occupation. Un gamin tout nu sort de son bain et cherche sa maman. Ça pourrait faire une jolie scène de film. Ramona était au fond du jardin, elle m’accueille avec son grand sourire. Ici, on travaille en famille. Il y a toujours à s’affairer dehors ou à l’intérieur de la maison. Je dépose mes affaires dans la première chambre sur la droite, c’est comme au musée dis! J’adore! Je me dis: whaouh quel lit de princesse avec son édredon comme autrefois et tout ! Y aurait t il un petit pois caché dessous les draps?
Ramona, petite femme rondelette m’offre un shot de vişinata, c’est comme la palincă mais avec des cerises (l’original). Celle de Ramona est aux myrtilles. Excellent mais comme toujours ça tape fort! Et je n’ai pas encore déjeuné… En face, le restaurant d’Irina et Radu propose des plats traditionnels. Aujourd’hui, c’est une potée de chou avec du porc, ça me va. Au fur et à mesure, tout le monde se parle de table en table. L’orage éclate, le vent et la pluie en prime. Nous voilà finalement tous accoudés sur la même table les uns contre les autres. Il faut bien se réconforter face au mauvais temps.
Je rencontre Mark. Un Anglais avec ses lunettes qui a je ne sais combien de bières à son compteur. Il me parle de sa famille, fume comme un pompier et boit encore et encore. Lorsque je lui fais écouter ma version de la chanson Alfonsina y el mar
Il fond en larmes. Je comprendrai après que la chanson lui rappelle son frère, décédé l’année dernière d’une overdose…
C’est dans ce même moment aussi que je prends conscience du pouvoir de la musique. Je me souviens d’une discussion en Espagne il y a quelques mois de ça avec Lorenzo. “Tu as une mission: celle d’aider les gens avec ta musique. » Il avait raison. C’est fou comment une mélodie peut réveiller le passé. Toucher une personne dans son intimité… Et ça, ça n’a pas de prix! Je veux faire ça: soulager maux et blessures par la musique. Médecine naturelle?
Et si et si et si, je ne l’aurais peut-être jamais rencontré?
J’avais repéré sur airbnb un camping tout à fait à mon goût dans le village. Il est complet pour ce soir et c’est pour ça que je suis chez Ramona, plan b. En discutant avec Radu, il me recommande d’aller vérifier directement par moi même. Histoire de me faire une idée du lieu et d’organiser mes prochaines nuits à Breb. Le camping Babou Maramureş est le genre de lieu où je me sens comme à la maison, ou plutôt comme chez ma soeur. Tout est bien pensé, joliment décoré avec des illustrations de la maîtresse des lieux, Eveline.
C’est son compagnon Matthijs qui m’accueille.Par chance, le groupe qui avait réservé ce soir ne vient plus. Demain soir? C’est full! Ok, je veux au moins dormir une nuit ici! Déménagement dans la minute qui suit!
Entre mes aller retours, je croise un grand gaillard blond qui m’intrigue. Il me fait un clin d’oeil, puis un deuxième. À moins que j’ai des hallucinations? Chacun dans son monde, on ne s’adresse pas la parole. C’est bien la première fois que je vis ça. D’habitude, tout de suite on blablate, ça va vite en besogne. Je passe toute la soirée à écouter des cds sur le poste philips, ah ça fait longtemps! en solo. Sirotant une tisane couleur grenade, je passe du folk metal hongrois à une chanteuse roumaine des années 80 ultra kitsch; Mihaela Runceanu. La playlist vaut le détour!
Avertissement: chapitre autorisé à tous les amoureux des rencontres improbables
Le lendemain matin, je vois passer à travers la fenêtre le même mystérieux blondinet.
Un signe de la main. Je sors sur le perron de la maison. Il vient vers moi. On tchatche un peu. Il s’appelle Marius. Il est roumain et allemand. Je lui confie mon envie d’aller au marché d’Ocna Şucatag. Il me propose de m’accompagner en voiture ou de me laisser vivre mon aventure.
Je choisis la première option.
Étant donné qu’il a beaucoup plu la veille, il y a du travail dans les champs et les villageois plient bagage vers 11h30. On arrive quand même à dégoter quelques victuailles pour un pique nique improvisé sur un banc à la sortie du village. Le saule pleureur nous offre un coin d’ombre et nous pouvons admirer les passants.
Une famille en charrette nous salue de la main. Tant de rencontres se créent quand on prend le temps de contempler.
Marius tient à voir absolument le barrage qui vient d’être construit dans la forêt. À travers les routes sinueuses, on entre dans la basse montagne. Là où jadis les arbres centenaires resplendissaient de par leurs beautés, il n’y a plus que de l’herbe sous nos pieds. Marius m’explique tout: la surexploitation de la nature par l’Homme, les conséquences sur les animaux, maîtres des lieux, sur la rivière etc… C’est un grand passionné quand il s’agit de parler de la forêt. Si bien qu’il a vécu 3 mois tout seul dans ce microcosme l’été dernier. Pour certains, ça peut sembler fou, d’autres demanderont: s’isoler mais pour quoi faire?
Pour Marius, ça veut dire beaucoup. Il a les yeux qui brillent quand il m’en parle. Se reconnecter aux besoins essentiels, écouter les sensations du corps et vivre en osmose avec la nature: ça n’a pas l’air simple du tout! Une belle aventure dans les bois. Avec comme avec chevalier servant: soi et soi même. J’admire!
Le soir, devine où l’on atterrit pour la nuit: chez Ramona ! Palincă again and again.
Au coin du feu qu’il a dessiné de ses mains, notre première soirée ouvre t-elle déjà le bal à une danse de couple?
Le voyage à deux commence, tu sais ça ?
J’ai eu une réponse positive de Maria pour aller passer une soirée à Săpânțâ dans sa famille. Le village est connue pour son cimetière “gai” initié par un sculpteur sur bois roumain: Stan Ioan Pătraș. Les croix peintes et les poèmes gravés en majuscules mêlent sentiments profonds et humour sur le défunt. Ici on célèbre la mort non pas comme une tragédie mais plutôt comme un passage vers l’au-delà.
La pluie s’est arrêtée. Marius me lit les poèmes et les traduit en français aussi sec.
Il est doué pour les langues. Il parle allemand, roumain, anglais, français et italien. Rien que ça!
On passe une belle soirée avec Maria, son compagnon, son bébé, ses parents et les ouvriers. Une grande famille réunie autour des bons plats préparés par la maman.
Ça réveille des souvenirs chez Marius de se retrouver là. Il se réveille en sursaut et me propose de partir ensemble la semaine prochaine dans le village de son grand père à côté de Lugoj. Là-bas il y a à quelques kilomètres, un village tsigane. Il veut m’y emmener, m’aider dans ma quête de musique gypsies et vivre cette aventure à mes côtés.
Parfois lors d’un voyage, il suffit d’une seule rencontre pour faire basculer tous tes plans d’un côté inattendu et te voilà en train de suivre un autre chemin sans même t’en rendre compte. Peut être à deux pourrons nous aller plus loin?
J’accepte sa proposition! On se connaît depuis même pas une semaine… et pourtant. Avant ce nouveau départ, je dois retourner chez Flori. On a prévu d’aller ensemble à un événement folklorique le dimanche. J’y tiens beaucoup.
Nous partons chacun de notre côté pendant deux jours. On a besoin de digérer…
Tombez la, tombez, tombez la chemise traditionnelle!
Le dimanche, il y a la fête internationale de la chemise traditionnelle en ville. Les enfants et adolescents sont venus de tout le pays pour présenter le folklore de leur région. Même les Ukrainiens, Moldaves et Polonais se sont joints à la fête. Tout ce beau monde défile dans les rues et va en direction du musée pour un spectacle de plus de 3 heures sous le soleil de plomb. La pluie vient écourter les festivités, on s’abrite comme on peut sous les arbres. La fête reprend une heure plus tard, devant le musée avec un groupe de musiciens et danseuses avec leurs opinci (chaussures traditionnelles en cuir). Je tourne dans le cercle et saisis une gorgée au goulot de l’unique bouteille de palincă qui passe par chaque danseur.
La hora en fin de journée
On rentre au bercail la tête pleine à craquer de belles images. Flori me propose de goûter sa vişinata maisonou aussi communément appelée la boisson de Dracula pour sa couleur rouge sang. Allez, un dernier shot et au lit!
Demain matin Marius vient me chercher! Oulala… Je commence à stresser. Mon sac n’est pas du tout prêt, j’ai de tout partout dans la chambre, il est 1h du matin, je commence à me poser dix mille questions…
Bon bon bon, demain est un autre jour les amis, moi je vais me coucher ! Noapte bună (bonne nuit)!
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