Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #150: « Rock the Casbah ! »
Marco et Paula visitent la casbah d’Alger, ce qu’elle fut et ce qu’elle est …
La Casbah est aujourd’hui un lieu dans la mémoire. Mémoire des Ottomans qui, en 1515, à la demande de l’Emir, vinrent la protéger contre les incursions espagnoles, puis s’y installèrent confortablement pour quelques siècles. Mémoire des Français qui, après leur arrivée en 1830, détruisirent les remparts puis la moitié basse de la ville, pour la remplacer par des immeubles hausmmanniens (et de larges rues anti-émeutes). Mémoire de la guerre de libération, quand le FLN en fit l’un de ses bastions, et les paras français un terrain de guerre.
Nous avons visité la Casbah avec Kenza, une jeune guide moderne (pas de voile ou fichu sur la tête), bardée de diplômes et passionnée. Elle nous entraîne – nous, c’est-à-dire quatre « roumis » et une vingtaine d’Algériens – dans les ruelles d’une ville qui a perdu tout son lustre d’antan, et nous comprenons vite que la Casbah, centre de pouvoir pendant des siècles, est devenue un quartier pauvre et périphérique d’Alger. Une ville qui fut construite comme un château de carte, nous explique-t-elle, où les constructions tiennent debout en s’appuyant les unes sur les autres, et où aujourd’hui des maisons s’écroulent, laissant des pans béants remplis de gravats. La Casbah prend ainsi parfois, au détour d’une rue, des allures de vieille femme édentée.
Mais il reste, dans la Casbah, le souvenir de la guerre de libération, avec – ici, une fontaine dédiée aux martyrs, et là, le 5 de la rue des Abderrames, que les paras français firent sauter avec une énorme charge explosive tuant dix-sept habitants des maisons voisines, et qui, reconstruite, sert aujourd’hui de mausolée aux quatre militants du FLN qui habitaient là et qui, pris un peu plus tard, furent guillotinés. Il n’y a rien de grandiose dans ces mémoriaux, mais la passion qui anime notre jeune guide à l’évocation de cette lutte et de ses héros me surprend. C’était il y a plus de cinquante ans, mais c’est comme si cela s’était passé hier. Le moment fondateur de l’Algérie.
Ce qui s’est passé hier, de 1992 à 2002: la guerre civile, dans la version islamiste. Cent mille morts, me dit un matin une jeune collègue, moderne et féministe. J’ai pensé qu’elle avait exagéré ; mais non, l’article de Wikipédia sur ces années de plomb fait état de soixante à cent cinquante mille morts, un million de déplacés, des dizaines de milliers d’exilés, et plus de vingt milliards de dollars de destruction. Je me rends compte qu’en dépit de mes lectures, je ne sais rien de ce qui s’est passé. Deux jours plus tard, un directeur du Ministère du commerce m’explique que si le pays a du mal à se construire aujourd’hui, c’est parce que la population a été détruite psychologiquement par « ces années de braises ». Ma collègue a suggéré que je lise « Le Rapt », d’Anouar Benmalek, pour comprendre.
Au déjeuner, nous nous retrouvons assis avec une femme qui est, comme moi, « d’un certain âge », et qui a vécu toute sa vie à Alger. Elle n’avait jamais visité la Casbah et c’est sa fille qui l’a amenée ici aujourd’hui, avec sa petite fille. Présentes également une femme et sa fille adolescente, algériennes ; elles vivent en France et sont venues passer leurs vacances à Alger. Je pense : ce pourrait bien être une des exilées de la guerre.
Dans le groupe, quelques jeunes femmes aussi, qui pratiquent le selfie avec une insouciance et une détermination qui exaspèrent notre guide.
Je m’interroge sur tous ces gens, les mondes qu’ils habitent, les idées de la Casbah et de l’histoire qu’ils tricotent et détricotent. Et dans un coin de ma tête, le groupe The Clash joue « Rock the Casbah ».
► @desmotsdeminuit
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