Les Carnets d’ailleurs de Marco & Paula #149: « Ghanni ghanni ‘ala bladi »
Voilà Paula à pied d‘œuvre dans ses retrouvailles algéroises
Ayant obtenu le sésame, une ritournelle s’est imposée d’emblée à moi et ne me lâche plus depuis une dizaine de jours: « Ma guitare et mon pays », une chanson de Line Monty. Depuis, je chante – affreusement mal mais avec beaucoup de conviction – les paroles nostalgiques de cette pièce d’anthologie du music hall algérien, le fruit d’un métissage pied-noir, juif et musulman que j’avais découvert à Alger en 2002, lors d’un spectacle gai et musicalement réussi.
Nous voici donc débarqués à Alger et tout de suite j’essaie de recoller un kaleidoscope d’images, de mots et de senteurs sur la réalité d’aujourd’hui. Entre l’aéroport et notre appartement, je suis décontenancée car ce tronçon de route a changé et les quartiers neufs et les autoroutes ne me parlent pas. Même la place du golf, au pied du bâtiment de la Présidence, dans un quartier où j’ai vécu près de trois ans, me semble toute petite. Deux jours plus tard, j’ai commencé à parcourir à pied des trajets mille fois empruntés et retrouvé mes repères. Ouf !
Par contre, les premières visites aux amis m’attristent. Partie toute guillerette pour saluer un ancien voisin, j’apprends consternée qu’il est décédé il y a deux ans. Dans la foulée, je poursuis ma route pour donner mon bonjour aux propriétaires du logement dans lequel j’ai passé deux années. J’habitais l’appartement en dessous de chez eux. Bien vite, ils m’avaient acceptée, moi la « roumie » vivant seule et « pas comme une femme du pays ». Là aussi, ma visite tourne à la déconvenue: elle, morte depuis quatre ans et lui, qui ne peut plus parler. « Maliche » (pas grave), il est tout content de ma visite et nous parvenons à « bavarder » par signes et mots griffonés sur un bout de papier pendant près d’une heure. En partant, je lui promets de revenir le voir mais cette fois je le préviendrai auparavant pour ne pas perturber le vieillard qu’il est devenu.
Les jours suivants, je retrouve deux amies toujours pleines d’énergie et fidèles à mon souvenir. Avec l’une, nous parcourons le centre ville et ses quartiers haussmanniens et même si des traditionnelles tentures bleues qui protègent du soleil ont été parfois remplacées par des toiles rayées ou même multicolores (quelle faute de goût!), je retrouve une atmosphère familière, même si je ne sais plus en distinguer les nuances.
Je vois toute sorte de gens se côtoyer et, selon mon amie, les contradictions algériennes sont toujours là; récemment, elle a vu une femme houspillant des jeunes lui manquant de respect se faire prendre à partie par la foule, au prétexte que son verbe haut ne seyait pas à une femme. A contrario, mon amie ajoute qu’il est maintenant possible de voir des Algériennes fumer aux terrasses de certains cafés. De mon temps, quand je voulais « fumer un café », je demandais au serveur si je le pouvais, ce qu’il ne refusait jamais – mais je savais qu’il prévenait les clients que j’étais juste une étrangère, pas une prostituée.
Nos pas nous ayant portées jusqu’à la Grande Poste (un batiment néo-mauresque constuit sous l’occupation en 1910, bureau de poste jusqu’en 2015), nous visitons une exposition sur les timbres algériens, faute d’avoir pu entrer dans le bâtiment principal qui vient juste d’être muséifié et qui sera ouvert « bientôt ». Mon amie s’emporte sur la décision de remplacer par du marbre les carreaux du sol, dénaturant l’intention architecturale d’origine, un choix qu’elle estime révélateur du côté poudre aux yeux qui caractérise de nombreuses rénovations en cours dans le centre ville.
Avec mon autre amie, nous avons parcouru les allées du Jardin botanique du Hamma, que tout le monde continue à appeler le « jardin d’Essai », magnifique cadre pour notre conversation de retrouvailles. J’ai la bonne surprise de le retrouver en bien meilleur état qu’il y a quinze ans: propre, bien entretenu, serein y compris dans le parc zoologique où les cages, certes bien trop petites, sont remplies d’animaux visiblement bien soignés. Certains, que j’imagine conscients d’être coincés entre quatre grilles, sont certainement neurasthéniques mais des animaux de ce zoo ont détenu des records de longévité (cent ans pour Jacqueline l’alligator et Hector le condor dont tout le monde parlait).
Il y a quinze ans, quand j’avais découvert ce jardin, il venait d’être rouvert et sa somptueuse allée de ficus ne parvenait pas à masquer les stigmates d’une occupation mafieuse pendant la décennie noire des années 90. Un plan social menaçait les 800 personnes que l’on disait être employées au Jardin; le nombre me paraissait bien énorme mais leur salaire ne l’était pas; fallait-il employer moins pour payer mieux? Je suis persuadée que le premier terme a été mis en oeuvre, mais j’ai des doutes sur le second. Ce sera le sujet d’une autre chronique sur mes retrouvailles algériennes. Inch Allah.
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