Théâtre. « Fire of Emotions: the Abyss », la connaissance par les gouffres
Assise sur un rocher, cette performeuse suisse s’appuie sur la métaphore de l’océan et de ses fonds vertigineux pour mieux nous plonger dans le flux foisonnant de pensées où son histoire personnelle s’entretisse avec des préoccupations plus générales ou politiques, inventant à sa manière une forme très singulière de théâtre-essai.
Dans Moby Dick, le roman d’Herman Melville, Ismaël, le narrateur, a une curieuse vision alors qu’il se prépare à entendre un sermon dans une chapelle sur la presqu’île de Nantucket en Nouvelle-Angleterre. À genoux à l’avant de la chaire, le prêtre, écrit Melville, « fit une si fervente prière qu’il semblait être agenouillé et priant du fond de la mer ».
Pamina de Coulon ne cite pas Melville et ne parle pas non plus de baleines dans Fire of Emotions: the Abyss, performance inclassable que l’on peut découvrir, entre autres, dans le cadre du festival Programme Commun à Lausanne. Pourtant cette image frappante d’un humain agenouillé au fond de l’océan semble parfaitement appropriée à l’atmosphère à la fois primesautière et méditative des réflexions bouillonnantes inspirées par l’élément marin et ses gouffres profonds que cette jeune femme livre avec un mélange subtil d’ingénuité et de cran à la sagacité de son auditoire.
Certes pas plus que le prêtre de Melville, Pamina de Coulon n’est agenouillée au fond de la mer. Assise au flan d’un rocher, auquel elle donne parfois la sensation de s’agripper, ce pourrait être une naufragée ou une vacancière – ou, plus vraisemblablement, une conférencière d’un genre peu habituel. La qualité primordiale des créations inclassables de cette performeuse tient, en effet, à sa capacité à jongler avec une série plus ou moins ordonnée d’idées autour d’un thème choisi tout en s’exprimant – et c’est là un point essentiel – à la première personne.
Formée à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève où elle a notamment été l’élève de Yan Duyvendak, Pamina de Coulon est aussi l’auteur d’un mémoire sur la création artistique, A la recherche du temps perdu. Vers un slow art?. Travail qui s’inscrit dans l’esprit de la communauté slow art, une mouvance née en 2012 à Bruxelles, inspirée notamment par le mouvement de la slow science, qui défend l’idée que les impératifs de temps et d’efficacité économique ne s’appliquent pas à la création artistique et que de ce fait l’art n’a rien à voir avec la consommation.
Comme pour ses précédentes performances Si j’apprends à pêcher je mangerai toute ma vie puis Fire of Emotions: Genesis dans Fire of Emotions: the Abyss, Pamina de Coulon part donc d’elle-même, de sa propre expérience, de ses doutes et aspirations pour déployer des pistes de réflexions non exemptes de digressions ou bifurcations intempestives. On peut se demander, par exemple, ce qui justifie la présence sur une banderole en fond de scène du slogan « Macht kaputt was dich kaputt macht » (que l’on pourrait traduire par « détruis » ce qui te détruit ») alors qu’elle raconte comment aux temps de Christophe Colomb, il était courant de penser qu’en naviguant suffisamment longtemps on pouvait atteindre le jardin d’Eden.
On comprend mieux en revanche le rapport avec les migrants qui risquent leur vie pour rejoindre les côtes européennes. Ce sujet brûlant, Pamina de Coulon ne souhaite pas l’aborder frontalement. Même si c’est un problème qui la touche, elle estime n’avoir ni les mots, ni le droit pour en traiter convenablement. Alors elle parle des abysses, ce fond des océans où il n’y a pas que des poulpes, des monstres marins, des cadavres et des câbles internet. Les abysses qui connaissent une forte activité sismique, d’où l’expression « feu des abysses ».
Les abysses, l’océan, l’élément liquide deviennent une métaphore puissante. Elle se souvient de Nietzsche expliquant que « si vous regardez trop longtemps dans l’abysse, l’abysse regarde aussi en vous », qu’elle met en parallèle avec une remarque de la romancière américaine Anne Lamott qui parle de « s’asseoir avec les vaincus dans l’abyme en solidarité ».
Pamina de Coulon ne cite pas Melville et ne parle pas non plus de baleines dans Fire of Emotions: the Abyss, performance inclassable que l’on peut découvrir, entre autres, dans le cadre du festival Programme Commun à Lausanne. Pourtant cette image frappante d’un humain agenouillé au fond de l’océan semble parfaitement appropriée à l’atmosphère à la fois primesautière et méditative des réflexions bouillonnantes inspirées par l’élément marin et ses gouffres profonds que cette jeune femme livre avec un mélange subtil d’ingénuité et de cran à la sagacité de son auditoire.
Certes pas plus que le prêtre de Melville, Pamina de Coulon n’est agenouillée au fond de la mer. Assise au flan d’un rocher, auquel elle donne parfois la sensation de s’agripper, ce pourrait être une naufragée ou une vacancière – ou, plus vraisemblablement, une conférencière d’un genre peu habituel. La qualité primordiale des créations inclassables de cette performeuse tient, en effet, à sa capacité à jongler avec une série plus ou moins ordonnée d’idées autour d’un thème choisi tout en s’exprimant – et c’est là un point essentiel – à la première personne.
Formée à la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève où elle a notamment été l’élève de Yan Duyvendak, Pamina de Coulon est aussi l’auteur d’un mémoire sur la création artistique, A la recherche du temps perdu. Vers un slow art?. Travail qui s’inscrit dans l’esprit de la communauté slow art, une mouvance née en 2012 à Bruxelles, inspirée notamment par le mouvement de la slow science, qui défend l’idée que les impératifs de temps et d’efficacité économique ne s’appliquent pas à la création artistique et que de ce fait l’art n’a rien à voir avec la consommation.
Comme pour ses précédentes performances Si j’apprends à pêcher je mangerai toute ma vie puis Fire of Emotions: Genesis dans Fire of Emotions: the Abyss, Pamina de Coulon part donc d’elle-même, de sa propre expérience, de ses doutes et aspirations pour déployer des pistes de réflexions non exemptes de digressions ou bifurcations intempestives. On peut se demander, par exemple, ce qui justifie la présence sur une banderole en fond de scène du slogan « Macht kaputt was dich kaputt macht » (que l’on pourrait traduire par « détruis » ce qui te détruit ») alors qu’elle raconte comment aux temps de Christophe Colomb, il était courant de penser qu’en naviguant suffisamment longtemps on pouvait atteindre le jardin d’Eden.
On comprend mieux en revanche le rapport avec les migrants qui risquent leur vie pour rejoindre les côtes européennes. Ce sujet brûlant, Pamina de Coulon ne souhaite pas l’aborder frontalement. Même si c’est un problème qui la touche, elle estime n’avoir ni les mots, ni le droit pour en traiter convenablement. Alors elle parle des abysses, ce fond des océans où il n’y a pas que des poulpes, des monstres marins, des cadavres et des câbles internet. Les abysses qui connaissent une forte activité sismique, d’où l’expression « feu des abysses ».
Les abysses, l’océan, l’élément liquide deviennent une métaphore puissante. Elle se souvient de Nietzsche expliquant que « si vous regardez trop longtemps dans l’abysse, l’abysse regarde aussi en vous », qu’elle met en parallèle avec une remarque de la romancière américaine Anne Lamott qui parle de « s’asseoir avec les vaincus dans l’abyme en solidarité ».
Les mystères de l’eau
Les vaincus, le mot est suffisamment général pour englober tous ceux qui ont touché le fond. Au passage Pamina de Coulon, par une discrète allusion à sa propre dépression indique qu’elle se compte parmi ceux qu’elle estime constituer les deux tiers de la planète. Enfant, elle était fascinée, voire obsédée, par le naufrage du Titanic au point qu’une de ses tantes lui a offert le poème Océanonox, de Victor Hugo. Elle se souvient aussi d’avoir passé des vacances dans l’île de Lampedusa où avec masque et tuba elle épiait sous l’eau, mais sans succès, la venue de tortues de mer connues pour se reproduire à cet endroit.
Dans cette façon de tisser ensemble des expériences personnelles et des réflexions en apparence plus générales, s’appuyant au besoin sur des philosophes comme A.N. Whitehead ou Isabelle Stengers ou des écrivains comme Erri de Luca, elle donne forme à un parcours foisonnant où des éléments a priori disparates entrent en relation les uns avec les autres.
L’eau, explique-t-elle, est un mystère, que ce soit par sa force, par sa transparence, le fait qu’elle soit toujours en mouvement ou encore qu’elle brise toutes règles puisque la glace, qui est un solide, flotte pourtant sur l’eau. Suivant ses propres règles, Pamina de Coulon, avance dans ses explorations comme on taille son chemin parmi des broussailles. Revenant sur son passé, elle constate avec une charmante pointe d’humour la bonne surprise d’avoir récemment découvert « n’être pas devenue la personne que je pensais devenir, c’est-à-dire la personne que je me serais contentée d’être ».
Si on ne peut qu’acquiescer quand elle insiste sur la nécessité d’abandonner l’idée de compétition pour la remplacer par celle de coopération consistant à prendre en compte l’ensemble du vivant et partager sa méfiance vis-à-vis de ce qu’elle appelle « les arguments naturels », le naturel étant toujours construit. On sera plus circonspect, en revanche, sur ce qu’elle appelle « fermeté d’âme » et qui consisterait à « accepter de se réduire à un credo minimum ». Le courage de vivre mérite mieux que ça. Comme en témoigne amplement ce très beau et émouvant voyage à la fois sensible et intellectuel dont l’originalité constitue justement en une défense très convaincante de la complexité.
Fire of Emotions: the Abyss, de et par Pamina de Coulon
Dans cette façon de tisser ensemble des expériences personnelles et des réflexions en apparence plus générales, s’appuyant au besoin sur des philosophes comme A.N. Whitehead ou Isabelle Stengers ou des écrivains comme Erri de Luca, elle donne forme à un parcours foisonnant où des éléments a priori disparates entrent en relation les uns avec les autres.
L’eau, explique-t-elle, est un mystère, que ce soit par sa force, par sa transparence, le fait qu’elle soit toujours en mouvement ou encore qu’elle brise toutes règles puisque la glace, qui est un solide, flotte pourtant sur l’eau. Suivant ses propres règles, Pamina de Coulon, avance dans ses explorations comme on taille son chemin parmi des broussailles. Revenant sur son passé, elle constate avec une charmante pointe d’humour la bonne surprise d’avoir récemment découvert « n’être pas devenue la personne que je pensais devenir, c’est-à-dire la personne que je me serais contentée d’être ».
Si on ne peut qu’acquiescer quand elle insiste sur la nécessité d’abandonner l’idée de compétition pour la remplacer par celle de coopération consistant à prendre en compte l’ensemble du vivant et partager sa méfiance vis-à-vis de ce qu’elle appelle « les arguments naturels », le naturel étant toujours construit. On sera plus circonspect, en revanche, sur ce qu’elle appelle « fermeté d’âme » et qui consisterait à « accepter de se réduire à un credo minimum ». Le courage de vivre mérite mieux que ça. Comme en témoigne amplement ce très beau et émouvant voyage à la fois sensible et intellectuel dont l’originalité constitue justement en une défense très convaincante de la complexité.
Fire of Emotions: the Abyss, de et par Pamina de Coulon
- 10 mars (19 h) et 11 mars (16 h) à la Gaîté Lyrique, Paris
- 17 mars à l’Arsenic, Lausanne (Suisse) dans le cadre du festival Programme Commun du 16 au 28 mars
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