Théâtre : « Amok » de Zweig par Alexis Moncorgé: une tonique incarnation du délire
Seul sur la scène du Théâtre de Poche Montparnasse Alexis Moncorgé réussit son adaptation d' »Amok », cette nouvelle publiée en 1922. Il est ce médecin en fuite, prisonnier de la mélancolie et du remords, qui fait le récit de cette folie irrépressible qui l’a terrassé et qui a conduit à la tuerie. Quelle est la part du délire et du cauchemar? Le texte de Zweig avait fait le miel des surréalistes.
L’Amok ? Je crois me souvenir… C’est une espèce d’ivresse chez les Malais »
Nous ne devons dire à personne que nous l’avons aperçu sur le bateau, ce soir-là. Un passager mystèrieux, un médecin allemand, parti exercer en Indonésie pendant plus de six ans, se confie. Muré dans le silence de la mer depuis des jours, il nous raconte sa mission en Malaisie et sa rencontre avec une femme qui a bouleversé sa destinée.
Médecin reclus aux antipodes de sa civilisation, il est lassé de voir quotidiennement les mêmes « visages jaunes », jusqu’au jour où une femme blanche, voilée, une européenne de la grande bourgeoisie coloniale, vient lui demander assistance. Froide et hautaine, elle ne daigne pas découvrir sa figure et se laisser ausculter, s’adresse à lui avec dédain et moquerie. Pour le persuader, elle lui offre une forte somme d’argent. Lorsque le praticien comprend qu’il s’agit d’une demande d’avortement, il refuse. Mais cette femme, à la beauté renversante et au caractère de feu, a envoûté son corps et son esprit.
A partir de cet instant, je n’eus plus que la pensée de la posséder.
Il est prêt à revenir sur son éthique si elle accepte de se donner à lui avant l’opération. Elle s’indigne et quitte son domicile. Le délire et l’obsession peuvent s’installer. L‘ »amok », cette course à la mort et au suicide est enclenchée.
Son désir d’obtenir les faveurs de celle qui le méprise devient passion délirante. Il la pousuit comme un prédateur obsessionnel mais dans cette course, Il voudrait également la sauver coûte que coûte avant le retour de son mari, devenir un allié dans le secret et un sauveur dans la honte. Il la retrouve trop tard. Devant lui gît le corps mutilé de cette femme qui s’est résolue à s’adresser à une faiseuse d’anges. Elle est allongée dans une pièce insalubre, couverte de sang, à l’agonie. À sa demande, il la ramène chez elle et lui jure de garder le silence. En le faisant dépositaire de son secret le plus précieux, elle lui a offert un ultime et inégalable présent. Le médecin, tout à son remords d’avoir voulu rompre son serment et à sa culpabilité d’avoir provoqué une mort atroce, se jette à la mer avec le cadavre de celle qu’il n’a pas aidée pour empêcher une autopsie.
Mais le narrateur nous trouble. S’agit-il d’un fantasme? D’un rêve? D’un souvenir réel dont il a été l’acteur principal ? On comprend que le texte de Zweig publié après la première guerre mondiale dans une période de bouleversements moraux et sociaux ait inspiré les surréalistes. L’auteur autrichien était par ailleurs un admirateur de Freud et cette pièce relaie ces questions de la relation entre le rêve et la réalité, entre le conscient et l’inconscient.
Le public suit le périple réel ou délirant. Le texte, dans l’interprétation tonique de Alexis Moncorgé, rend son parfum d’humidité et de chaleur tropicale. Ce comédien, nommé aux « Molières 2015 » dans la catégorie « Révélation masculine », par ailleurs petit-fils de Jean Gabin, interprète, très tonique, plusieurs rôles sur une scène où quelques caisses de bois constituent le seul de décor. Associé à Caroline Darnay qui le met impeccablement en scène, il redonne à l’œuvre de Stefan Zweig une sombre actualité.
Amok, mis en scène par Caroline Darnay
Paris – Théâtre de Poche Montparnasse – jusqu’au 22 mai 2016
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