La proposition est étrange: c’est un monde où les femmes n’existent pas, ont-elles disparu ou étaient-elles inutiles puisqu’ici les hommes se chargent de tout: travailler, faire la cuisine, le ménage et mettre au monde les bébés? Vous avez bien lu, mais vous n’avez rien vu, car « Hetero », c’est du théâtre, il faut le voir.

La pièce, inquiétante mais réjouissante, s’ouvre sur deux pères -puisque, donc, il n’y a pas de mères- qui s’inquiètent de l’avenir conjugal de leur grand fils. Celui-ci ne semble pas s’intéresser aux filles, pardon aux garçons, enfin au sexe, privilégiant sa vie professionnelle dans la filiale d’une multinationale, pourtant dirigée par un boss super-exigeant qui ne pense qu’à son chiffre, du nom de Promis. Qu’importe, ces deux parents préoccupés par leur descendance, confient à un marieur professionnel le soin de résoudre la question. Celui-ci, moyennant une belle commission, affirme avoir trouvé une riche solution. Mais, l’oiseau rare auquel il pense n’est autre que le patron de la boîte du Fils, l’intraitable mais célibataire Promis, il faut des hasards au théâtre. Stupéfaction et gêne des potentiels tourtereaux lorsqu’ils ont présentés l’un à l’autre, mais le théâtre permet des facilités, ils font affaire et les fiançailles sont célébrées. Pas si simple, les incompréhensions et les conflits surgissent, c’est rigolo, ils risquent d’être fatals.

 

Ce serait faire fausse route que de croire que le texte de Denis Lachaud s’inscrit dans le prolongement de la légalisation du mariage pour tous, voire dans le mauvais débat sur une hypothétique théorie du genre. Tout au plus, l’auteur s’amuserait de ces résonances. D’ailleurs « Hetero« , sans accent, renvoie plutôt à la racine grecque du mot: « l’autre » et c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Imaginer un faux monde unisexe permet paradoxalement de poser de vraies questions. Sans prise de tête, la pièce est drôle d’un bout à l’autre. Lachaud connait son sujet et sa mécanique du rire surprend constamment, notamment quand il mélange imperceptiblement les styles: le boulevard, le grotesque, le non sense et, fallait oser, la tragédie antique quand on est dans une pure comédie. Et s’amuse à glisser quelques notes surréalistes quand, par exemple, l’un de ses personnages se prend (dans de jolies tirades) pour un arbre ou une montagne. Surréalisme? Thomas Condemine, embraye, il fait entrer ses (excellents) acteurs par les fenêtres, sans raison, les affuble de bois de cerfs ou les asperge généreusement de peinture fraîche.
« Hetero » est un joyeux chaos, il faut aller s’y régaler des questions qu’il suggère.

« Hetero » de Denis Lachaud, mise en scène Thomas Condemine
Théâtre du Rond-Point (Paris), jusqu’au 19 octobre
puis en tournée:
27 janvier 2015: Théâtre Rive Gauche, Scène conventionnée de St Etienne-Du-Rouvray (78)
5 et 6 février 2015: La Halle aux Grains, Scène nationale de Blois (41)
10 – 14 février 2015: La Rose des Vents, Scène nationale de Villeneuve-d’Ascq (59)
18 – 20 février 2015: Centre Dramatique National d’Orléans (45)