« Banlieues bleues »: Avec KCS Noël Akchoté remonte aux sources de la guitare jazz
Invité du festival Banlieues Bleues en Seine-Saint-Denis, le guitariste présente un projet consacré au Kansas City Five and Six, formation qui fit les grandes heures du swing à la fin des années 1930, dont il offre une relecture originale en compagnie d’un quintet réuni spécialement pour l’occasion composé des musiciens Mary Halvorson, Han Bennink, Joachim Badenhorst et Brad Jones. Rencontre.
Il ne s’agit pas tant dans cette affaire de reproduire ni de répéter mais de relire le passé à la lumière du présent pour se le réapproprier voire le réinventer. À ce propos, Noël Akchoté ne parle pas tant de nostalgie que de sa propre conscience de l’histoire.
La question: « Qu’est-ce qu’on peut jouer maintenant? » a toujours été centrale pour moi. Quand tu es là aujourd’hui, tu as un héritage, quel qu’il soit. Personne ne vient de nulle part. Chaque musicien a son histoire, son parcours à partir duquel il se confronte aux défis du présent mais aussi à ses origines.
Noël Akchoté
Constitué du trompettiste Buck Clayton, des guitaristes Eddie Durham et Freddy Green, du contrebassiste Walter Page et du batteur Jo Jones auquel vint s’ajouter Lester Young connu surtout comme saxophoniste ténor, mais qui dans cette formation joue exceptionnellement de la clarinette, le Kansas City Five and Six a enregistré une série de compositions qui témoignent d’un moment essentiel de l`ère du swing. Eddie Durham s’y distingue en particulier en y prenant les premiers solos de guitare électrique de l’histoire du jazz.
Ces sessions sont importantes à plus d’un titre. On y assiste en particulier à l’invention de la guitare moderne. Eddie Duhram, qui n’est pas seulement guitariste – il joue aussi du trombone et s’est par ailleurs illustré comme arrangeur –, y défriche ce qui deviendra bientôt la guitare jazz. C’est d’autant plus intéressant qu’on se situe là à un moment où l’on n’a pas encore trouvé un jeu spécifiquement « jazz » à la guitare. C’est encore un peu blues ou, dans une version américaine, un peu « Django« .
Noël Akchoté
Le fait que cette formation compte en son sein deux guitaristes a aussi été déterminant dans la réalisation du projet KCS. En effet depuis quelques années, Noël Akchoté joue régulièrement en duo avec Mary Halvorson, guitariste qui appartient à la nouvelle génération du jazz américain. En 2015 elle a enregistré Meltframe, un disque solo consacré à des compositeurs qu’elle apprécie.
Parmi les morceaux sélectionnés sur l’album il y a Cheshire Hotel, une composition de Noël Akchoté qu’il avait enregistré vingt ans plus tôt en duo avec le guitariste Marc Ribot.
Mary me fait beaucoup penser à ces musiciens de la période swing. Elle a un jeu très contemporain, mais en même temps, c’est une musicienne qui a quelque chose à voir avec cette tradition. Cela tient beaucoup au fait d’avoir été une élève d’Anthony Braxton, qui, lui-même, est profondément ancré dans l’histoire de cette musique. Quand elle travaillait sur Meltframe, Mary m’a demandé les droits pour la composition et c’est comme ça qu’on est entrés en contact. Le fait que vingt ans après, elle reprenne un morceau que j’avais joué avec Marc Ribot à une époque où j’avais besoin de me confronter à des gens qui me mettent au pied du mur est pour moi particulièrement significatif. D’ailleurs maintenant Mary joue aussi avec Marc Ribot, comme quoi tout ça se recoupe. Au fond, je fais toujours des projets avec des gens avec qui je pourrais partir en vacances.
Noël Akchoté
La musique pour Noël Akchoté est d’abord une histoire d’amitié. Lui-même parle même à ce propos d’ »histoire de famille ». Une autre façon de dire qu’il aime nouer des liens. Ainsi Joachim Badenhorst (clarinette, clarinette basse et ténor), Brad Jones (basse) et Han Bennink (batterie) qui participent eux aussi au projet sont tous des amis de longue date.
Une famille donc. Mais aussi autre chose: des compagnons d’aventure. Car tout projet tel que l’envisage Akchoté a quelque chose d’aventureux. Rien n’est joué d’avance. Et c’est tout l’intérêt de la chose. Ainsi le projet KCS présenté dans le cadre du festival Banlieues Bleues est absolument neuf. Comme s’il sortait de l’œuf en quelque sorte. Le guitariste tient beaucoup à cette spontanéité. Ce qui veut dire pas de répétition ou presque. Chacun connaît les morceaux à interpréter. Tout doit naître dans l’instant. « Je travaille un peu comme un réalisateur. Je fais un casting si on veut. Tu ne diriges pas Lino Ventura, par exemple. Tu construis autour et il va faire son truc. Là c’est pareil. Je les connais bien, je sais pourquoi ils sont là. »
Cette liberté pour Noël Akchoté c’est l’essence même du jazz, une musique, remarque-t-il, où il n’y a pas de compositeurs au sens classique du mot.
Dans la musique contemporaine, il n’y a pas de compositeurs noirs. Scott Joplin a essayé d’écrire un opéra, mais il n’en avait pas le droit. Nina Simone n’a pas pu faire la carrière de chanteuse lyrique à laquelle elle aspirait. Mais il y a Duke Ellington, Thelonious Monk, Charlie Parker, Charles Mingus et, entre les uns et les autres, toutes sortes de ramifications. Il y a un rapport à l’histoire, quelque chose qui circule des uns aux autres. Free Jazz par exemple, ça ne veut pas dire tout foutre en l’air. Free Jazz, ça veut dire: libérer le jazz. Ce sont des musiciens qui vont toujours fouiller dans les origines. Comme chez Albert Ayler qui se réfère à Buddy Bolden ou Anthony Braxton qui ne cesse de revisiter l’histoire de cette musique.
Noël Akchoté
D’une manière générale, Noël Akchoté se méfie de tout ce qui ressemble à un cloisonnement. Né en 1968, il s’intéresse autant au jazz ou aux musiques populaires – il a même enregistré un disque de chansons de Kylie Minogue – qu’à la musique contemporaine, n’hésitant pas à travailler récemment sur des partitions de Iannis Xenakis ou improvisant à la fin des années 1990 avec Luc Ferrari dont il fut très proche.
Depuis quelque temps, il explore la musique de la Renaissance et du Baroque, de Carlo Gesualdo à Josquin des Prés en passant par Jean-Sébastien Bach ou Hildegarde de Bingen dont il a enregistré plusieurs adaptations de son cru. En 2013 il présentait même dans le cadre de Banlieues Bleues un récital pour cinq guitares consacré à Gesualdo.
Toujours curieux, passionné, il ne fait rien à moitié et sitôt qu’il se lance dans un projet, il va jusqu’au bout.
L’idée avec KCS, c’est d’ancrer la chose dans ce moment décisif de l’apparition de la guitare jazz. Peut-être que je reviens toujours à ça parce que, au fond, le jazz je ne sais pas ce que c’est. J’avais à peine douze ans quand j’ai vu des musiciens comme Major Holley, Slim Gaillard, Jo Jones ou Milt Buckner. Pour moi c’était le punk rock. On ne parlait pas de ces gens-là à l’école. Et puis il y avait aussi leur façon de vire, leur façon d’être qui était indissociable, d’une certaine manière, de la musique. J’ai côtoyé Jacques Thollot, Barney Wilen, Jacques Pelzer… Des types incroyables, d’une liberté ahurissante. Le fait de jouer cette musique-là, d’être aussi libre, cela voulait dire quelque chose socialement; à la fois aristocrate et un peu clodo… Au bord, quoi. Moi, à treize ans, je me demandais: qu’est-ce que tu peux faire ? Tu arrives cinquante ans trop tard. Tu es mort. Mais qu’est-ce que tu peux faire quand même? Parce que tu as vraiment envie de réaliser quelque chose. Aujourd’hui encore c’est toujours comme ça. C’est pour cette raison que la question essentielle pour moi, c’est pourquoi tu joues telle ou telle musique et à quel moment. C’est la seule chose qui compte.
Noël Akchoté
KCS (Noël Akchoté, Mary Halvorson, Han Bennink, Joachim Badenhorst et Brad Jones) – première partie Vincent Courtois « Les Démons de Tosca » (Vincent Courtois, Daniel Erdmann, Julian Sartorius)
► 7 mars à La Marbrerie, Montreuil (93) Dans le cadre du festival Banlieues Bleues
► tournée
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