🎭 « Girl From The Fog Machine Factory », les merveilleux nuages du maestro Thom Luz
Avec ingéniosité et un délicieux sens de l’humour, le metteur en scène et dramaturge imagine à quoi pourrait ressembler la vie d’une entreprise où l’on fabrique des machines à fumée. Ce point de départ prosaïque est surtout l’occasion d’exposer comment une petite communauté d’artistes façonne avec une inventivité étourdissante des paysages de rêve.
Des usines qui produisent de la fumée, cela n’a rien d’exceptionnel. Mais une usine dont le but est de fabriquer des machines à produire de la fumée, c’est déjà une tout autre histoire. À sa façon, discrète mais efficace, Thom Luz nous introduit avec Girl From the The Fog Factory, présenté pour la première fois sur une scène française en avril au Centre dramatique national d’Orléans, au cœur même de la création poétique.
Son spectacle où officient des employés en bleu de travail nous invite au sein d’une entreprise où l’on fabrique ni plus ni moins que du rêve sous la forme de paysages vaporeux emprunts de mystère et d’émotions. Tout commence par une ritournelle dont le rythme légèrement ralenti et la mélodie brumeuse suscitent une torpeur euphorisante: « I twas a long time, a very long time, it twas a long, long, long time ago… » C’est une chanson qui ne semble jamais devoir finir tout comme on ne sait pas si elle a jamais commencé. Elle se perd dans un lointain inaccessible comme une perspective noyée dans l’infini.
Un créateur inclassable
Ce qu’il y a d’extraordinaire dans les spectacles de Thom Luz c’est leur capacité à mêler en un tout indissociable d’une formidable plasticité l’aspect visuel et sonore autant que le jeu des acteurs. C’est de cette conjonction parfaite, proche de la magie, déjà présente dans des créations précédentes comme When I Die (2014) ou Unusual Weather Phenomena Project (2015) que naît le charme unique des univers parallèles façonnés par ce jeune metteur en scène et dramaturge suisse.
Dès Patience Camp, son premier spectacle créé en 2007, Thom Luz apparaît comme un artiste inclassable, autant plasticien qu’homme de théâtre avec de surcroît une oreille musicale ultra sensible et un humour d’autant plus délicieux qu’il opère par touches finement distillées. Les sujets de ses pièces sortent eux aussi de l’ordinaire. À commencer par cette Rosemary Brown (1916-2001), medium britannique qui prétendait composer sous la dictée de musiciens décédés, de Beethoven à Debussy en passant par Schubert, Chopin ou Brahms… dont When I Die fait un portrait aussi fou que désopilant.
Il y a aussi William R. Corliss (1926-2011), physicien passionné par les anomalies de toutes sortes qu’il a passé sa vie à rechercher et recenser, parmi lesquelles les phénomènes climatiques inhabituels. Ses écrits sur le climat sont au cœur de Unusual Weather Phenomena Project, spectacle d’une rare ingéniosité où abondent les phénomènes atmosphériques inexplicables et autres facteurs d’instabilité.
Météo poétique
À sa manière, Thom Luz est lui aussi un spécialiste du climat si l’on considère sa capacité à façonner au fil de ses créations des espaces mentaux hantés par des possibilités souvent loufoques pour ne pas dire aberrantes subtilement mises en perspectives. Une fois encore avec Girl From The Fog Machine Factory, la météo n’est pas loin sauf que cette fois les nuages sont des créations humaines tandis que le climat général tend à l’émerveillement. « La qualité d’un brouillard est fonction de ce qui se cache derrière« , est-il dit dans le spectacle. Cela pourrait presque être une définition du théâtre ou de la poésie. « Suggérer, voilà le rêve« , écrivait Mallarmé.
Or quoi de plus suggestif qu’un nuage ou que la brume qui envahit un paysage. On pense à la scène d’Amarcord de Fellini où, sous le regard d’un enfant, des branches d’arbres noyées dans le brouillard prennent la forme d’animaux fantastiques. C’est d’ailleurs en participant à un atelier de cirque alors qu’il était âgé de dix ans que Thom Luz a découvert l’existence de la machine à fumée. Plus tard ses parents lui en ont offert un exemplaire pour son anniversaire.
On retrouve forcément un peu de cette joie enfantine dans Girl From The Fog Machine Factory. L’argument du spectacle est relativement simple: une jeune femme débarque dans une usine où l’on fabrique des machines à fumée. On lui explique comment ça se passe, les diverses formes de fumées, etc… Sur scène il y a un vieux poste de radio, des rangées de ventilateurs, des bidons entassés les uns sur les autres et toutes sortes d’objets plus ou moins bizarres dont chacun a sa fonction.
Dans ce qui ressemble à une initiation poétique, on lui présente toutes sortes de démonstrations. Le fait qu’au cours de ces explications en forme de mode d’emploi, elle tombe amoureuse d’un des employés ajoute encore au charme de cet apprentissage – d’ailleurs qu’est-ce qu’une histoire d’amour sinon « la rencontre dans le ciel de deux nuages qui s’interpénètrent, changent de forme et disparaissent« , est-il est affirmé dans le spectacle.
Où l’on comprend qu’en fait d’usine, la jeune femme est tombée sur une communauté de sages quelque peu fantaisistes dont le métier consiste avant tout à fabriquer du rêve. Mais aussi que les cumulus, nimbus et autres stratus sont autant de variations sur la porosité de nos émotions. Sans oublier évidemment les « clouds » où sont désormais stockées des quantités innombrables d’informations à l’état vaporeux.
Fantômes
Car on peut en faire des choses avec de la vapeur d’eau. On peut la faire passer dans des tuyaux qui émettent de parfaits ronds de fumée, lesquels flottent bientôt au-dessus de la salle prenant des formes fantomatiques. On peut l’enfermer dans un sac et la libérer d’un coup donnant vie à un coussin de nuage. On peut aussi fabriquer des couettes de nuages. Ou encore se livrer à des lâchers de nuages. Sans parler de contempler d’immenses mers de nuages.
En réalité c’est à une authentique « leçon de nuages » que nous convie ce spectacle avec en point d’orgue un concert de nuées en forme de cheminées d’usine d’une beauté soufflante. Emporté par ces métamorphoses aussi drôles qu’étourdissantes on en oublierait presque le monde ordinaire et sa réalité implacable. Or celui-ci se rappelle aux héros du spectacle par une information diffusée à la radio annonçant que leur usine doit définitivement fermer, leurs carnets de commandes étant vides.
Le refrain évoqué plus haut et qui est régulièrement repris au cours de représentation prend alors tout son sens. On comprend que ce que nous avons vu s’est passé il y a bien longtemps et que les personnages si attachants de cette fabrique improbable ne sont plus de ce monde. Ce sont en quelque sorte leurs fantômes qui ne cessent de rejouer ces scènes enchanteresses. Des fantômes voués à s’effacer dans l’éther un peu comme des nuages – ou comme une pièce de théâtre qui n’est plus jouée. En s’achevant ainsi sur une note mélancolique cette incursion fantastique au pays des nuages en souligne aussi la dimension éphémère.
Un teaser du spectacle
Girl From The Fog Machine Factory, de et par Thom Luz
direction musicale Mathias Weibel, avec Fhunyue Gao, Sigurour Arent Jónsson, Mara Miribung, Samuel Streiff, Mathias Weibel
18 et 19 juin au Printemps des Comédiens, Montpellier
- Festival Printemps des Comédiens jusqu’au 30 juin à Montpellier, tout le programme
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