À travers la manipulation et la falsification d’images anciennes, l’artiste plasticienne s’affranchit du réel pour créer des situations dans lesquelles elle bouleverse le statut des personnages et questionne l’ambivalence de leur posture.
Un moment de suspens à la limite du soutenable. Juste avant la chute, juste après l’impulsion. Voilà face à quoi Agnès Geoffray nous plonge avec « Incidental Gestures« , une série photographique composée d’images d’archives qu’elle manipule jusqu’à leur donner une nouvelle réalité.
Que pouvait donc retenir cette femme de la chute sur l’image que l’artiste a choisie de commenter ici? Nous ne le saurons jamais. Et peu importe, car le travail d’Agnès Geoffray pour cette série n’a pas pour fonction d’interroger des images d’époque, mais bien de créer une nouvelle tension dramatique éloignée de celle qui pouvait y exister au départ. Par la retouche, elle met ainsi en place de puissants moments de tension, au travers desquels c’est à la fois le statut des personnages présents et l’objectivité présumée de la photographie qui se retrouve mis en question. Des moments où l’on retient son souffle, où le potentiel dramatique d’une image se voit révélé ou décuplé par une manipulation simple consistant la plupart du temps à enlever un élément de la scène d’origine. La retouche d’images d’époques devient donc ici reconstruction.
Manipulations
Faisant écho aux manipulations photographiques commises de tout temps – notamment par les régimes totalitaires -, les « gestes » d’Agnès Geoffray visent à bouleverser le statut figé des protagonistes, à leur donner une force ou une faiblesse qu’ils n’avaient pas au départ. À les « faire être » ce que, précisément, ils n’étaient pas. Redonner un visage à une gueule cassée, rhabiller une femme tondue à la Libération, enlever la corde au cou d’une pendue pour la transformer en figure angélique ou, comme ici, faire d’une scène a priori banale un puissant écho aux images de Charcot…
Articulée autour de la violence et de ses représentations, la plasticienne fait basculer des images d’époque vers un nouveau réel, enchanté, souvent étrange et profondément poétique.
→ Agnès Geoffray, née en 1973 à Saint-Chamon, elle vit à Paris et enseigne à l’ESAL de Metz. Elle a été pensionnaire de la Villa Médicis, académie de France à Rome et ses œuvres font notamment partie des collections du Centre Pompidou, du Fond national d’Art contemporain à Paris, du Frac Auvergne Clermont-Ferrand, du Mac Val à Vitry-sur-Seine et du musée de l’Élysée à Lausanne. Ses travaux ont été présentés dernièrement au sein de l’exposition « Soulèvements » au Jeu de Paume. Quatre ouvrages monographiques lui ont été consacrés aux éditions de La Lettre volée à Bruxelles: Ultieme Hallucinatie, Profond silence, Les Captives et Before The Eyes Lid’s Laid. Elle est représentée par la galerie Maubert, à Paris.
► jusqu’au 30septembre 2018, expo Agnès Geoffray, Le Point du Jour – Cherbourg (50)
► le site d’Agnès Geoffray
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