« Razzia » de N. Ayouch avec Maryam Touzani: Une urgence à tout dire tout de suite

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Journaliste, scénariste, comédienne pour la première fois, tout juste mère et femme au Maroc. Maryam Touzani fait parfaitement écho à son personnage dans le film qu’elle a co-écrit et dans lequel elle incarne, parmi d’autres désirants, une soif de liberté et d’émancipation dans un pays à la sage monarchie. Derrière l’apparence, ici comme ailleurs, le monde qui doute et se fracture

 

Nabil Ayouch est, avec sa co-scénariste, un inventeur. Celui d’un nouveau genre : le film à foison. Tellement « Razzia » dit et montre dans ces parcours entrelacés sur trois décennies. Un maître dans le Haut-Atlas – celui dont un poncif veut que chacun d’entre nous l’ait désiré pour lui ouvrir le monde – qu’une femme berbère délaissée pour cause d’arabisation ne retrouvera jamais. Le fils de celle-ci devenu serveur et ami du patron juif d’un restaurant de Casa où errent les fantômes de Bogart et de Bergman. Joseph – c’est le nom du restaurateur – sera répudié par la prostituée amie découvrant l’étoile de David. Des femmes s’amusent et s’épuisent à danser hors les regards. L’adolescente de famille bourgeoise, Inès naît à son homosexualité. Sur fonds de manifestaions et de bagnoles brûlées, une jeunesse – laissée pour compte ou tondue ou dorée, c’est selon la voiture ou le quartier – qui se met sur la gueule. Autant de métaphores d’une société, touchée comme partout par l’uniformisation libérale et numérique qui a perdu le sens des mots « autre » et « différent »; qui cherche ce que peuvent bien recouvrir « émancipation » ou « statut de la femme ». Un oiseau est enterré, au bord de l’océan… Société où beaucoup a été razzié; ce foisonnemment où le couple, même habillé moderne ou habitant huppé, reste engoncé dans le patriarcat. Se libérer de cette emprise, relever sa robe de quelques centimètres pour écarter la malédiction du mâle croisé dans la rue, c’est aussi l’enjeu pour Salima incarnée par Maryam Touzani.  

« La cigarette après l’amour… »

Gardons de ce foisonnement une image. Manière de voir et détournement d’expression. Son mari vient de lui arracher de la bouche une cigarette. Il part, claque la porte. Elle en allume une autre, met fin à leur couple et garde l’enfant… 
On peut retenir de ce « mot à mot » enregistré au Festival du film de Sarlat que Maryam Touzani avait quasiment terminé l’écriture de ce film avant que la décision soit prise par le réalisateur de la faire jouer et que c’est pendant le tournage qu’elle a appris qu’elle était enceinte. « Journaliste, scénariste, comédienne pour la première fois, tout juste mère et femme au Maroc ». La vie, cette fiction!                          

Nabil Ayouch a l’habitude du jab, ce coup de poing non appuyé et rapide qui défraye la chronique. En s’attaquant par exemple au problème de la prostitution au Maroc avec « Much Loved » (2015). Il y a coups de poing. Le film touche un non-dit et il est censuré au Maroc mais circule sous le manteau. « Non appuyé » parce que les portraits de Noha, Randa, Soukaina et Hlima, prostituées de Marrakech sont d’abord de sensibles portraits de femmes, violentées par une société qui les utilise et les condamne dans une classique ambivalence… 
« Razzia » poursuit cette exploration d’un hors champ marocain peu touristique.  

Le film parle de gens en quête de liberté, de droit d’exprimer leurs pensées et de parler des questions qui leur importent. En particulier, le droit des femmes à atteindre cet objectif; car je pense que cela devient de plus en plus difficile pour les femmes d’être libres dans le Maroc moderne… Les mentalités sont en régression pour une raison simple. La liberté d’expression. Nous avançons à reculons. Ce que nous avons vu ces deux ou trois dernières années, non seulement au Maroc mais aussi dans le monde entier, est un grand pas en arrière… Le cinéma marocain a enregistré des développements majeurs au cours de la dernière décennie, mais ils n’auront aucune valeur sauf si nous défendons la liberté d’expression.

Nabil Ayouch. Variety », décembre 2016.

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