Pour la philosophe Isabelle Queval: « Il faut savoir nager sa vie! »

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S’accomplir ou se dépasser? Une question de science humaine posée par une philosophe qui visite le mot effort dont la championne de tennis qu’elle fut a pu explorer la nécessité ou la contrainte. Aujourd’hui, elle le sort de trop de facilités de langage pour faire de cette « mobilisation volontaire de forces physiques et intellectuelles face à une résistance » la possibilité d’accès à une sagesse.

Dans la démonstration d’Isabelle Queval on pourrait choisir de s’arrêter sur cette phrase: « Les individus des sociétés contemporaines -sociétés individualistes- sont éreintés psychiquement et physiquement par le culte de la performance ». D’autres mots font écho à cette contemporanéité-là: sélection, productivité, utilité, accroissement des biens disponibles… Ils illustrent la capacité du capitalisme et du marché à flécher le sens de nos efforts là où l’auteure aboutit au contraire dans sa remarquable argumentation à proposer… 

 

une conception de l’effort comme ajustement aux choses, plutôt que comme outil de domination , comme connaissance de soi plutôt que comme dépassement. Il s’agit aussi d’initier un autre rapport au temps, à autrui, à l’environnement. Cette inspiration nous semble fondamentale pour aborder les questions d’éducation et en particulier les liens entre effort et performance. Ainsi, la notion d’équilibre personnel apparaît-elle centrale, notamment au sein d’un sytème scolaire qui gagnerait, semble-t-il, et ce de différents points de vue, celui de la santé mentale, celui de l’égalité des chances, celui de la réussite même des missions du système, celui d’une éthique de la solidarité, à réformer profondément se conception de l’évaluation et de la performance… une révolution copernicienne

Isabelle Queval. Philosophie de l’effort. éditionscéciledefaut, 2016.

Isabelle Queval décline tous les enjeux qui découle de cette notion d’effort, qu’il s’agisse du sociétal, du politique, de l’ontologique, du moral ou de l’idéologique. L’image du nageur qu’elle utilise est à cet égard éblouissante. Dans le courant ou à contre courant?

… nous voyons bien que le premier nageur recherche l’harmonie avec la nature, quand le second cherche à la dompter. Cela ne signifie pas que l’un et l’autre ne peuvent pas tout aussi bien parvenir à leurs fins, ni qu’ils n’y trouvent pas une forme d’accomplissement comme de liberté. Simplement ce sont deux visions du monde, de la vie, de l’action humaine, de la sagesse et du bonheur, comme de la connaissance qui s’illustrent là. Ce sont aussi deux visions de l’effort…

Isabelle Queval. Philosophie de l’effort. éditionscéciledefaut, 2016.

Alors…  S’arrêter de courir ou de « gamberger » pour un instant réfléchir à cette quantité d’énergies musculaires ou neuronales qui est toujours mobilisée dans l’effort de se lever, de lire Kant, de supporter une médiocrité politique, d’élever ses enfants ou de prendre son temps. Isabelle Queval nous rappelle que dans cet existentiel de « l’effort à bon escient », il s’agit d’abord et toujours, corps et âme, de s’accomplir en échappant aux prédateurs d’énergies qui empêchent « la vie bonne » .        

« Comment penser l’effort aujourd’hui? Le thème peut sembler à la fois banal et faussement suranné. Banal, d’une part, parce que l’effort est, pour paraphraser Descartes, « la chose du monde la mieux partagée ». Depuis toujours, nous sommes enjoints à « faire des efforts », dans des domaines très variés de l’existence, pour apprendre à marcher ou faire du vélo, à l’école, dans nos relations avec autrui puis, plus tard, pour mener à bien des études et une vie professionnelle, trouver le bonheur dans notre vie privée et surmonter les « coups durs » qui sont le lot de chacun. Banal aussi, parce que, tel un marronnier des propos de comptoir, le thème est dans l’actualité, lorsqu’il s’agit de déplorer le « manque d’efforts » des « jeunes générations » ou la perte du « goût de l’effort », à l’école notamment. Ainsi, l’effort serait requis partout, et pourtant perdu, omniprésent dans les discours et si difficile à définir, si difficile à saisir aussi dans les actes. De quoi parle-t-on, de l’effort physique, démonstratif, ou de l’effort intellectuel, intériorisé, impalpable, mais dont les neurosciences visent à montrer la teneur somatique? L’eff ort permettrait le progrès. Oui, mais lequel? À quel prix, à quelles fins? Faut-il nécessairement se dépasser, « s’arracher », pour être heureux? À qui profite donc l’effort? Évoquer d’autres manières, moins doloristes, moins violentes, moins compétitives, moins discriminantes de penser l’effort et la performance, comme l’accomplissement et le dépassement de soi, c’est aussi poser les bases d’une écologie personnelle, qui est aussi une ergonomie de l’effort personnel et collectif, c’est-à-dire une manière de bien vivre avec soi-même comme avec les autres. »
©éditionscéciledefaut

 

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