Michel Butel (1940-2018): écrivain et journaliste à l’œuvre récidiviste
« Un journal, c’est une œuvre! » dit ici l’homme de plume animé d’un insatiable désir littéraire qui n’empêchait évidemment rien d’un besoin du politique. Car Duras et Mitterrand parlent toujours de cette une de « L’autre Journal ». Car Gisèle, parfaite inconnue, y a raconté par le menu sa vie, donc un peu de la France. Il s’agissait alors d’écrire en long le présent à l’aube du « tout infaux »…
- En 2012, dans la préface de l’anthologie 1984-1992 de L’Autre Journal, Michel Butel, ce donneur d’alerte à bas bruit écrivait notamment ceci qui vaut philosophie du journalisme et rejet cinglant de l’information en continu:
« Je mettais la presse, et je mets toujours la presse – je conçois que ça soit assez bizarre, et peut-être avec les années qui passent de plus en plus bizarre, vu ce qu’est devenue la presse ou ce qu’elle persiste à être – à l’égal d’une œuvre. Je pensais et je pense encore qu’un journal peut être beau et avoir l’importance, pour ceux qui le font comme pour ceux qui le lisent, qu’ont les œuvres d’art et les films… » - Fin 2012, pour le premier numéro de L’Impossible, forcément sous-titré L’Autre Journal, ce radicalement lucide toujours enthousiaste ajoutait : « Nous avons inventé ce petit objet pour les nuits blanches et pour les jours sans fête… Lisez-le, donnez-le, dispersez-le, faites de la politique! »
- Le portugais Pessoa aurait sans doute fait de lui un « plébéien de l’idéal ». Michel Butel (enfant de 1940 et juif caché chez ses grands-parents) apprend à lire « nuit et jour » avec les journaux de la libération dont il dit que « les titres et la typo le hantent ». Ensuite, il aurait pu aller à bonne école mais ce fut un institut psychopédagogique à cause d’un début d’incendie apparemment volontaire dans le cabinet du médecin. Bref, en ce début d’adolescence, c’est là qu’il y aurait créé son premier journal. Suivront des années sans retourner chez les parents, des engagements pour l’indépendance de l’Algèrie; à l’Union des étudiants communistes; par Bernard Henry-Lévy pour la création de L’Imprévu, un quotidien. Cela dit, le tout, bouclé une dizaine de jours plus tard. Prémisse.
- Il est clair que la chose littéraire, roman ou articles d’écrivains ou d’intellectuels (Guibert, Deleuze, Stengers, Duras, Foucault), sera le combat de sa vie. Il écrit en 1977 L’Autre amour (prix Médicis du premier roman), puis La Figurante deux ans plus tard, traduit Arthur Schnitzler avant sa grande aventure journalistique aux Nouvelles littéraires qui, en délicatesse avec la diffusion, deviennent par décision de l’actionnaire principal Max Théret, le sous-titre de L’Autre Journal en 1984. Mais l’intention et la proposition sont tout autre. Pendant une décennie, Michel Butel, son exigence, son utopie, sa temporalité sont à la manœuvre. Sans publicité, avant l’heure du galvaudage du mot par le discours ambiant, il fait de la disruption dans le ronron journalistique en imposant des longueurs, des signatures et des contenus qui disent le présent par l’écriture, qui mettent la poésie dans le fait divers, qui politise le monde, « célèbre sa beauté en déplorant son horreur ». L’Autre Journal meurt en 1992. D’autres livres (L’autre livre en 1997) et d’autres tentatives d’un journalisme plus littéraire (L’Impossible) suivront. Comme ce baroud en 2011, quand Michel Butel présente sa candidature à la direction du journal Le Monde. Aujourd’hui, L’Autre Journal reste une référence. La revue XXI en est le bon exemple. Michel Butel que son asthme épuisait était inépuisable.
Michel Butel – Avril 2012 J’ai créé L’Autre Journal en décembre 1984. Je l’ai inventé. Je n’ai pas « lancé un journal », je l’ai inventé. J’ai imaginé son titre. J’ai imaginé son format, ses rubriques. Son équipe. Ses rédacteurs qui n’étaient pas tous journalistes. Son sommaire. La couverture de son premier numéro (un tigre surgi d’un rêve, sans légende).
L’époque était triste, moins qu’aujourd’hui. Le monde était féroce, moins qu’aujourd’hui. L’argent était cruel, moins qu’aujourd’hui. La gauche était de droite, moins qu’aujourd’hui. Les États-Unis inspiraient crainte et répulsion, moins qu’aujourd’hui. Les islamistes semaient la terreur, moins qu’aujourd’hui. Le sida assassinait, moins qu’aujourd’hui…Michel Butel
Des mots de minuit. Extrait de l’émission #452 du 4 avril 2012.
Réalisation : Pierre Desfons
Rédaction en chef : Rémy Roche
Production : Thérèse Lombard et Philippe LefaitMichel Butel y était reçu avec l’écrivain Dan Fante, le metteur en scène Joris Lacoste, le jongleur Jerôme Thomas. Y était également interviewé le nobel de littérature japonais Kenzaburō Ōe. Katie Melua était l’invitée musique.
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